Alors que le monde occidental vient de célébrer dans une liesse d’une droiture morale rarement atteinte depuis la libération le septante douzième anniversaire de Jonathan Richman (qui n’en a cure, car ayant toujours seize ans dans sa cabeza), je me suis souvenu, non sans émotion, d’un disque où figurait ce morceau, I’m The King Of Joy, qu’on peut décemment qualifier de « plus grand morceau de Jojo que Jonathan n’a pas écrit ». Or ce disque n’était pas The Man, improbable tentative solo du futur KLF Bill Drummond, mais bien une des innombrables compilations Creation qui sortaient naguère en rafale*. Complètement abasourdis par cette chanson intouchable, qu’on écoute derechef.
Complètement obnubilés adoncques, par ce morceau totalement foufou (de nombreuses danses alcoolisées en petites tenues mais en appartement dans diverses parties de l’hexagone en attestent à l’époque) il n’en fallut pas plus à une personne qui n’a peut-être pas envie d’être outée sur le sujet**, d’avoir l’idée un brin fantasque mais bien légitime d’acquérir l’album (CRELP14) dans son intégralité. Pas franchement en facing à la Fnac mais tout de même trouvable car dûment réédité en disque compact (CRECD14) en ces nonantes embryonnaires. Quelle ne fut pas alors notre absolue déception à l’écoute de la somme, pauvres de nous, en dehors de ladite glorieuse chanson. Du pur foutage de gueule, ni plus, pas moins. Un artefact ou vain ou coquin, voilà. Fin de la blague. Pour le moment. Et pourtant, des trente ans plus tard, une soudaine envie de le réécouter sans ambages, pour voir si, pour être tout à fait sûr. Spoiler : assez bonne surprise, et de loin.
Pas nécessaire qu’il soit besoin de préciser qui est Bill Drummond ?
Ce serait fascinant sur la longueur mais contentez-vous d’un moment de l’activiste sur la scène de Liverpool, après le mythique Big In Japan, entre son rôle de manager d’Echo And The Bunnymen et de Teardrop Explodes, fondateur du label ZOO et sa future carrière de grand timonier ultime de l’agit prop dans la culture pop (KLF). Avant Mu Mu Land il y a un type qui veut juste écrire des chansons ? C’est plausible. C’est là. Et c’est pas si mal.
On ouvre le patio avec Down To The Trail, genre de Skiffle à peine inspiré du Down In Bermuda de Jojo. De la Bavière aux îles hawaïennes, une steel guitar ne peut pas te nuire. D’autant que c’est un instrumental. Si Jean-François Stevenin ou le regretté Jacques Rozier avaient situé un film dans des îles un peu plus exotiques, le générique aurait collé.
Ballad For A Sex God. Le titre pète, la chanson moins. On se gausse de l’excessivité de Kevin Rowland tout en prenant sur soi. C’est selon bouleversant ou pas du tout. Faut aimer le saxo en dehors du jazz libre, quoi.
Julian Cope Is Dead. I Shot Him In The Head. Pour les paroles ça rime c’est acquis. Bravo. Sinon cette ballade celtique assez exécrable ne vaut que par son titre provocateur. En réponse au Bill Drummond Said sur l’album Fried (1984). C’est de bonne guerre.
I Want That Girl. On reste dans une veine Dexy’s faiblarde. Mais si on pousse un peu l’imagination le mash up Felt / The Tyde / Motown fait presque monter les larmes aux yeux. Le problème de l’accent écossais un peu poussé se fait jour, nonobstant.
Goin’ Back. La plus belle chanson au monde. Goffin/ King, l’ultime version, par la suite des Byrds. Pas besoin d’en faire un opéra aquatique. Petit shuffle très fin sur la batterie. Par contre l’accent écossais une fois de plus crée la discorde. Alors qu’on écouterait presque un glorieux inédit de Beachwood Sparks.
Ce qui fait un lien temporaire avec une éprouvante écoute intégrale de l’album de The Jams en compagnie d’un autre écossais d’origine chilienne (j’avais dans mon souvenir, fait un sauté de veau) Cristian Vogel, moitié de Super_Collider et qui résuma assez bien l’affaire en déclarant : « Well Caledonian Hip Hop is probably a great idea but here, it sounds utterly shit actually… »
Après Queen Of The South, instrumental lacustre et gracieux (vous allez finir par croire que ce disque n’est beau uniquement que quand Bill s’abstient de vocaliser, c’est une idée qui me plaît beaucoup en effet) on repart sur un acte de foi, probablement biaisé, I Believe In Rock’n’Roll. Où malgré l’intimité très Richmanienne de la confession que l’on ne saurait en aucun cas qualifier de cynique, l’accent ruine à nouveau à peu près tout.
Mais vient le miracle, I’m The King Of Joy. La chanson est effectuée avec une telle passion traître que pour une fois les rares restes d’idiomes ne posent aucun problème. Ce n’est dans l’absolu, pas grand-chose, mais c’est absolument énorme.
Suit une soit disant reprise du classique Son Of A Preacher Man. Du foutage de gueule en bonne et due forme. Puis l’album s’achève (l’on peut légitimement souffler de soulagement) avec Such A Parcel Of Rogues In A Nation. Soliloque creux, déclamation sénile, apocalypse du septième jour : rien de bien fameux.
Alors, restons sérieux deux minutes en guise de conclusion, rien n’égalera jamais les premiers albums des Dexy’s Midnight Runners et la plupart de ceux que Jonathan Richman a commis d’un air hilare en cachant très mal son hypersensibilité. Mais si d’aventure, en fin de soirée, il vous reste un brin de fantaisie (voire un peu de dourougne) ne vous privez pas de jeter une oreille sur ce disque curieux et pas si nul. Bill Drummond, entre ses visées Wilsonniennes (Tony plus que Brian) et le succès international y dévoile peut-être un cœur pur. Et il sait très bien qu’avec un ourlet de blue jean pareil (cette pochette, quand même) il ne va pas faire carrière dans la pop badine. Un dernier souffle au cœur avant d’entamer une mirobolante manipulation de masse, qui définira toute la suite de la variété internationale un peu tonique à venir, d’Army Of Lovers à Prodigy. Et là, il va vraiment être le meilleur. À peine deux ans plus tard. The Man.
* Pour les curieux, le cours de mercatique est sur un tiré à part, disponible en conférence restreinte, à partir de 15 participants je baisse mes émoluments (500 en cash au black, c’est mieux, sinon 350 et c’est marre mais pour les impôts ça m’emmerde un peu surtout que c’est rien que la faute à Kevin S. et en gros la raison c’est ça, vraiment). ** Jacques Speyser, himself. (Stephen’s Library, Non-Stop Kazoo Organisation, Les Molies, Grand Hotel, Original Folks), tu me dis si ça te dérange, bien entendu.