Moi, mes histoires / Certains soirs / Je les raconte / Au miroir /
Alors bien sûr / Tu peux voir / La fêlure
C’est dans la robe de velours au goût de tragique de Régine, signée à l’origine par le couple Dabadie/Polnareff en 1978, que Bernardino Femminielli nous fait l’honneur de se glisser aujourd’hui. « J’écoute ce morceau depuis une dizaine d’années. Il représente pour moi les nombreuses vies imaginées qui sont projetées devant un public ou des gens qui nous sont proches. Moi, Mes Histoires pourrait être une chanson qui parle des erreurs de parcours et d’humilité face à la désillusion du showbiz. Les histoires inventées sur scène ont fini par y croire et à se les approprier mais lorsqu’on réussit à s’en départir on réalise les beaux moments qu’elles ont pu nous offrir. Pour moi c’est une chanson qui parle de courage sans tomber dans l’héroïsme. »
Et quelle chanson pourrait mieux se prêter à notre entertainer transfrontalier favori ? Qui depuis le début de sa carrière s’évertue à créer, lui, ses histoires, explorant le questionnement existentiel permanent de ce que signifie être artiste. Derrière la moustache fournie et les pantalons de cuir qui frappent au premier abord, c’est bien le jeu de se trouver soi-même à travers l’appropriation d’artifices volontairement choisis qui caractérise le travail artistique de Bernardino.
En écho à l’invocation mélancolique de Régine, cette quête semble prendre des atours littéraires et cinématographiques plus libres encore justement dans son dernier disque L’Exil, proposant une alternance de deux titres de belle facture au format pop et deux longues plages plus free qui laissent s’y déployer toute la palette de ses talents : la plume du narrateur/conteur qui transforme le réel vécu en autofiction haletante et l’inventivité de l’arrangeur/musicien qui plonge le tout en atmosphère pesante et paradoxalement délicate, faite de moments mélodiques cristallins et bercée par une batterie lascive, inquiétante et grave. Femminielli est décidément magicien, poursuivant avec une ténacité sincère le labeur de l’exercice de style (de la ballade gainsbourienne, de la marotte des âges d’or passés de la pop), transformant par effet de sublimation ce qui pourrait n’être que le récit d’une chute d’un artiste en mal de devenir dans le marasme du spleen hypercontemporain, en une recréation de soi extatique et sans fard, en un premier volet d’une pièce musicale ambitieuse dont on a hâte de découvrir les futurs développements.