Horizons sensibles – Lost Horizons, Tran Anh Hung, Andrea Serio

Collage sauvage et de mauvaise foi de l’actualité culturelle de la semaine

Lost Horizons
Pochette de l’album « In Quiet Moments » de Lost Horizons / Photo : Jacques-Henri Lartigue

C’est comme un bleu dilué dans le lait ; le ciel se réverbère, gracieusement, sur le blanc-cassé des dunes. Les couleurs sont tendres et pourtant les rafales du vent rappellent, violemment, au promeneur qu’ici tout idée de confinement est une injure. Dunes de Keremma, là où le sable blanc semble comme veiné par de hautes herbes roussies du sel des rivages. La baie est enluminée de rayons sortis de nuages en forme de nénuphar, l’horizon se partage entre un bleu majorelle et un rose cuisse de nymphe. C’est mon nouveau terrain de cœur, mon lieu de vie. La cime hautes des églises vient parfois fendre le paysage et je pense au sublime Grey Tower de Lost Horizons. Chanson magnifiée par la voix de Tim Smith, grand échappé de la société du spectacle. Un disparu. Simon Raymonde, l’une des têtes rêveuses de Lost Horizons, a l’art de persuader les êtres les plus sauvages. Sa collaboration avec Richie Thomas nous livre une première partie, ce somptueux In Quiet Moments, remarquable. Le disque louvoie, dans un équilibre certain, entre tension et mélancolie – pour preuve : One For Regret (feat. Porridge Radio), sorte de flammèche qui s’allume nerveusement côtoie le nébuleux Cordelia porté par un John Grant lointain et indocile. Chaque composition amène sa passerelle poétique, nous livre ces moments d’échappée, précieux. Je n’ai jamais été aussi heureux. Heureux de retrouver, durant mes balades, la liberté – à l’écart du monde.

Et Lost Horizons offre la promesse de cette retraite souhaitée et délicieuse. Bande son idéale. En février, la deuxième partie sera publiée. Décidément, février devient mon mois fétiche. Bande son… j’aime cette expression qui semble désigner un baume, un pansement musical pour nos blessures intimes. J’ai le souvenir du très beau film de Trần Anh Hùng, À la verticale de l’été, qui me vient là, soudainement. Souvenir porté par trois chansons merveilleuses qui traversent le long métrage. Histoire de deux sœurs, belles et lascives, préparant l’anniversaire de leur mère disparue. La ville d’Hanoï est filmée dans des teintes vert-d’eau ou céladon, vert chartreuse, sauge ou tilleul. C’est sublime. Les averses et la permanence de l’eau correspondent avec une certaine paresse. Quelles sont donc ces trois compositions qui magnifient les plans de Tran Anh Hung ? Il s’agit du Soaps d’Arab Strap, du Pale Blue Eyes du Velvet Underground et de Coney Island Baby par Lou Reed. Trois grâces. La trame mélodique se calque merveilleusement à la douceur de l’ensemble des couleurs. Cette jolie harmonie, Andrea Serio, nous la délivre au fil des pages. Dans Rhapsodie en bleu, cet illustrateur propose une candeur inquiète dans sa palette. L’histoire de ce jeune homme passant l’été avec ses cousins sur les bords de l’Adriatique avant que l’Italie ne sombre dans le fascisme, prend une tonalité singulière sous les traits de Serio. Le calme avant la tempête, la permanence du bleu et la douceur des contours peinent à ne pas faire entendre la violence. Que cela soit sur les rivages de l’Adriatique où sur les dunes blanches de Keremma, parfois, la beauté semble douloureuse.

In Quiet Moments de Lost Horizons à écouter et acheter sur leur bandcamp.
À la verticale de l’été de Trần Anh Hùng (2000)
Rhapsodie en bleu de Andrea Serio (Futuropolis, 128 pages)

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