Le premier maxi de Ben Watt (Summer Into Winter, 1982) jouit enfin d’une réédition vinyle dans le cadre du Disquaire Day. Belle initiative dont on ne pouvait se passer de vanter les mérites. L’occasion également de mettre en lumière les débuts de carrière du guitariste et producteur aujourd’hui essentiellement connu pour la discographie plus flamboyante qu’il construira sur la longueur au sein d’Everything But The Girl avec sa compagne Tracey Thorn, rencontrée en 1981 sur les bancs de l’université de Hull. La parution de cette réédition a été largement retardée par la situation sanitaire, l’occasion pour Ben Watt, complètement reclus depuis le début du confinement car souffrant d’une maladie auto-immune depuis de nombreuses années, d’évoquer en toute simplicité sur les réseaux sociaux les circonstances pour le moins extraordinaires qui ont conduit à son enregistrement.
Pensez donc, en 1982, l’anglais n’est encore qu’un jeune guitariste de 20 ans, certes ultra doué, fan de folk et de prog-rock british, mais dont personne n’a entendu parler. Ce dernier parvient pourtant par une connaissance commune à se procurer les coordonnées téléphoniques du grand Robert Wyatt, auteur déjà vénéré à l’époque. Ben Watt se rappelle ainsi sur sa page Facebook : « J’étais complètement inconnu à l’époque. J’ai simplement obtenu le numéro de téléphone de Robert et j’ai eu le courage de l’appeler. Il était suffisamment intrigué par cet appel pour demander à entendre quelque chose de moi. Je lui ai envoyé une cassette de Walter & John. Il m’a ensuite invité chez lui à Twickenham. J’étais émerveillé. Il est allé au piano et m’a joué quelques idées qu’il avait. Tout est allé très vite, je me souviens ensuite être dans un petit studio 16 pistes en sous-sol à West Kensington et il chante et joue sur mon disque. Je ne pouvais pas y croire ». L’anecdote, assez dingue si l’on y pense, traduit autant les qualités humaines et altruistes que l’on connaît d’un Wyatt que son flair artistique. Quel artiste de la stature du barde de Canterbury aurait bien pu prêter son concours à un jeune musicien inconnu pour participer à son premier maxi comme simple invité ?
De fait, le disque qui découle de cette collaboration est avant tout une belle œuvre personnelle d’un auteur aux talents et à la singularité déjà bien affirmés que viennent magnifier les interventions (voix et surtout piano) du génial ex-batteur de Soft Machine. Cinq courtes compositions en apesanteur, un folk acoustique automnal comme noyé dans l’écho marin, totalement hors du temps – l’époque était alors au post-punk finissant ou aux néo-romantiques naissants – qui, s’il se place aisément dans la droite lignée de la guitare folk anglaise des années 70 (John Martyn, Nick Drake, etc.), retenait également du punk les leçons do it yourself, cette aptitude à bâtir d’ambitieuses œuvres avec trois bouts de ficelle et beaucoup d’idées, une philosophie dont on ne mesurera que plus tard la pleine influence.
Avant de s’engager pleinement dans l’aventure Everything But The Girl, Ben Watt publiera en 1983 toujours chez Cherry Red un long format (North Marine Drive) encore aujourd’hui trop largement ignoré alors que figurant certainement parmi les plus beaux trésors cachés des années 80, à ranger aux côtés des premiers Aztec Camera, Prefab Sprout ou Pale Fountains dont il pourrait constituer le versant le plus intimiste. L’album, orné d’une jolie pochette noir et blanc joliment relevée de quelques couleurs vives, révélait des climats plus variées. L’anglais y défrichait en catimini cette pop ligne claire qui donnera ses heures de gloire à l’indie britannique des eighties (On Box Hill, Empty Bottles, Waiting Like Mad) ; l’écurie Sarah Records empruntera plus tard beaucoup à cette pop acoustique raffinée et légèrement neurasthénique (Field Mice, Blueboy, etc.). Watt y démontre autant ses talents de guitariste aux influences jazz-bossa maîtrisées que de fin mélodiste (sublime Some Things Don’t Matter) et poursuit ses expérimentations folk délicates (Lucky One, Long Time No Sea). Le disque se conclut en beauté sur une magnifique reprise dépouillée et gracieuse de Dylan (You’re gonna Make Me Lonesome When You Go) dont les paroles n’avaient peut-être jamais sonné aussi intime et juste.
Ces deux courtes collections de chansons sont aujourd’hui d’autant plus précieuses au cœur de ses admirateurs que Ben Watt n’a par la suite jamais vraiment réemprunté la même veine mélancolique, tout du moins pas de la même façon. Tout juste peut-on y adjoindre un tout premier trois titres solo encore tendre (Cant, 1981), le premier ep d’Everything But The Girl (Night & Day, 1982), quelques passages de l’album inaugural du groupe sorti en 1984 (Eden) et deux apparitions remarquables (sur le très beau The Paris Match du Style Council ou assurant certaines parties de guitare du mythique Mr Somewhere des Apartments de Peter Milton Walsh). L’ensemble, à l’image des pochettes de Summer Into Winter et North Marine Drive, sépias brumeux de ces débuts d’années 80 encore indécises, résonne désormais avec la douceur de l’écho d’un monde disparu, empli de cette langueur dont on fait les disques de chevet. L’anglais mettra plus de trois décennies à sortir de nouveaux LP en solo. Ces derniers, plus qu’amplement recommandés, ne sonnent évidemment pas comme leurs lointains ainés mais traduisent avec un talent toujours intact l’expérience acquise de leur auteur. En creux, ils viennent pourtant bien malgré eux recouvrir d’un halo plus prégnant et saisissant des chansons de jeunesse dont on sait qu’elles n’auront jamais de descendance, une forme de paradis perdu dont on finit par connaître par cœur les moindres recoins, sans ne jamais se lasser.