Dans une dimension parallèle où la pureté esthétique règnerait sans partage, Stuart Murdoch et sa bande auraient cessé toute activité musicale il y a bien longtemps pour n’abandonner à la postérité qu’un legs rendu incontestable par sa densité et sa brièveté. Belle And Sebastian y ferait sans doute l’objet d’un culte plus fervent et, dans les rangs clairsemés des adeptes, on ne débattrait plus alors que de la juste position du curseur historique, variable selon la hauteur fluctuante des exigences. « Rien d’essentiel après If You’re Feeling Sinister, 1996 » péroreraient les plus intègres ; « Il y avait tout de même de belles choses jusqu’à Dear Catastrophe Waitress, 2003 » répondraient les réformistes indulgents. « Tout cela ne vaut ni les Beatles ni les Smiths ! » finiraient par conclure, inévitablement, la frange maussade et radicalisée.
Dans le monde réel, Belle And Sebastian a mis un terme l’an dernier à une décennie de pré-retraite et d’intermittence pour publier, coup sur coup et presque par surprise, ses onzième et douzième albums, enregistrés au cours des mêmes sessions. C’est évidemment beaucoup trop pour qui chercherait à n’extraire du flux de la surproduction pop ambiante que les seuls jalons majeurs, auréolés de l’éclat marmoréen des chefs d’œuvre en puissance. Pour qui préfère goûter aux plaisirs moins légitimes d’une écoute hédoniste, cet enchaînement demeure un motif de réjouissance qui n’est pas à négliger. A l’heure des bilans de fin 2022, le constat était déjà implacable : l’importance de A Bit Of Previous ne tient sans doute pas à sa place historique mais davantage à ses retentissements intimes. Il a été parfois difficile d’écouter autre chose tant l’évidence de ces chansons solaires et radieuses s’est immédiatement incrusté dans les interstices du quotidien. Il est trop tôt pour prédire de façon définitive si Late Developers, ce jumeau dévoilé quelques jours à peine avant sa sortie, possède des charmes identiques. On devine pourtant que, pour quelques semaines au moins, peut-être davantage, la plupart de ces mélodies va, une fois encore, accompagner des bribes de vie qui comptent aussi. Pas forcément les plus intenses ni les plus exigeantes ; plutôt ces routines légères teintées d’un bonheur diffus à défaut de l’extase incertaine.
Une fois encore, c’est ce contraste entre les vertus euphorisantes d’une forme musicale immédiatement séduisante et la banalité ambivalente du quotidien qui résonne de façon éclatante dans les titres les plus aboutis. » I wish I could be content with the footbal scores/I wish I could be content with the daily chores » entonne ainsi Murdoch sur When We Were Very Young, comme si l’éclat pop du refrain qui accompagne ce vœu pieux rendait moins douloureux le cheminement vers la résignation sereine. Mû par ce désir louable d’enluminer la mélancolie, Belle And Sebastian semble, par instants, surjouer la béatitude et notamment sur le premier single, I Don’t Know What You See In Me, cosigné par Pete Ferguson et qui, au risque du ridicule, adopte tous les codes mainstream contemporains – autotune, synthétiseurs millésimés eighties et refrain tout juste digne d’un accessit au concours de l’Eurovision. Un dérapage vite contrôlé et qui n’altère pas outre mesure l’attachement déjà profond à ce nouveau chapitre d’une œuvre heureusement inachevée.