Les projets musicaux ultra-référencés, assumant leur inscription au sein d’un genre et de ses codes historiquement établis, ont ceci de particulier qu’ils évoluent sur une ligne de crête : à égale distance du maniérisme postmoderne et de la citation virtuose, l’écueil de l’érudition fétichiste et gratuite n’est jamais très loin. A ce titre, depuis une vingtaine d’années, l’héritage Kraut, au sens large, aura été très largement pillé, donnant naissance à une myriade de déclinaisons se situant sur ce point d’équilibre délicat.
Musique de genre par excellence, c’est en rejouant un certain nombre d’archétypes qu’elle peut exister sans se réduire à la seule figure du revival. Rythmiques motorik d’un côté, psychédélisme kosmische d’un autre, deux modèles qui encadrent une scène néo-kraut passionnante par sa capacité à déjouer les facilités du rétro – avec Neu!/La Düsseldorf et Tangerine Dream/Harmonia comme figures tutélaires. Julian Cope, avec son livre Krautrock Sampler (1995), avait sonné la charge : somme érudite et psychonaute toute entière dédiée au culte du rock allemand, elle constitue un point de référence pour plusieurs générations de musiciens.ennes et collectionneur.euses de disques. Sans oublier les entreprises drone noise de Spacemen 3 ou early electronic et méta-pop de Stereoloab. Autant de propositions constituant un cadre esthétique incontournable pour cette zone mutante au sein de laquelle évoluent les musiques aventureuses.
Et c’est précisément le cas avec le trio Beak> (Geoff Barrow, Billy Fuller et Will Young) qui, depuis > (2009) et ses suites tout aussi passionnantes, creuse de manière obsessionnelle le sillon rythmique inauguré par Klaus Dinger. Annoncé par surprise et succédant au génial Kosmik Musik (2022), EP faisant office de bande son pour le comics éponyme de Joe Currie/Ben Wheatley, > > > > porte à son point d’aboutissement une esthétique minimaliste-psychée, radicale par son refus du gimmick trop convenu. Des titres comme The Seal ou Denim illustrent particulièrement cet art du pas de côté : boucles percussives et arpèges hypnotiques participent d’un songwriting que > > > (2018) avait inauguré. Ceci par la manière dont le trio peut convoquer un au-delà de la rigueur métronomique des deux premiers disques en directions d’un post-punk ou proto-indus lorgnant du côté de Père Ubu ou de Chrome. Pour aboutir, avec Secrets par exemple, à une electro Lo-fi que n’aurait pas renié The Normal/Daniel Miller ou D.A.F. Nous pouvons le comprendre : > > > > poursuit et parachève un parcours fascinant par sa cohérence. Et place Beak> très haut, aux côtés de Cavern of Anti-Matter ou de Bitchin Bajas.