
Il peut au premier abord paraître paradoxal d’associer musiques expérimentales et musiques folks ou traditionnelles. Le plus souvent, la posture avant-gardiste semble exclure tout rapport aux formes sur le long terme, pour lui substituer une logique de la table rase − la projection futuriste comme seule option défendue. Pourtant, une filiation minoritaire semble pouvoir être repérée : sans remonter jusqu’à Bartók et son intérêt pour les musiques folkloriques d’Europe centrale, la séquence psyché aura été particulièrement féconde en croisements acid et folk – Incredible String Band, Tim Buckley, Robert Wyatt, et pour la France Malicorne ou Alan Stivell.
Tour comme pour ce qui concerne les musiques industrielles et la place importante qu’elles ont accordé aux expérimentations à base d’instruments traditionnels − Coil, Nurse With Wound, Current 93. Comme s’il avait toujours fallu dessiner des paysage sonores en contrebande, à l’écart du modèle imposé par l’autoroute progressiste. Un geste que l’on a pu retrouver à l’orée des années 2000 du côté des freaks-folk US, ou encore de celle des scènes Laptop Folk ou Indie /Anti-Folk.

Mais c’est surtout depuis une quinzaine d’années une scène française qui marque par sa vitalité et la manière dont elle redessine les contours d’un territoire musical fondamentalement mutant : Erwan Keravec, Kreis/collectif continu (Lise Barkas, Félix Chaillou, Léo Maurel – dont nous vous reparlerons bientôt, ndlr), Dreiek Interférences. Ou encore au cœur de cette constellation le collectif La Nòvia. Une entité basée en Haute-Loire qui regroupe musicien-nes, artistes et théoricien-nes, emblématique de cette manière de rejouer le geste expérimental et l’instrumentarium qui l’accompagne. L’utilisation d’effets, de boucles et de traitements électroniques, apporte une dimension supplémentaire, transformant des instruments centenaires (parfois eux-mêmes modifiés) en outils de création sonore contemporaine.

Il n’y a qu’à écouter le dernier LP de France, Destino Scifosi, sorti au mois de Janvier. Mathieu Tilly (batterie), Jérémie Sauvage (basse) et Yann Gourdon (Vielle à roue) fusionnent esthétique drone et minimaliste (on pense à Tony Conrad ou Phill Niblock) avec celle issue des musiques traditionnelles. L’un des aspects les plus frappants de cette hybridation est l’accent mis sur la matière sonore elle-même, en explorant les possibilités de la microtonalité et des recherches timbrales dans l’objectif d’enrichir la palette sonore d’instruments trop souvent cantonnés à leur statut patrimonial. Nous sommes en effet ici plus proche du mur de son noise, ou de l’expérimentation psychédélique, voire de la transe totale. Le groupe se produira d’ailleurs le 29 mars au Petit Bain à Paris dans le cadre de la première édition du festival Rage Sacrée (Rituels / Folklores / Avant-gardes), aux côtés entre autres de Daniela Pes, Rien Virgule, Clarissa Connelly ou Shovel Dance Collective. L’occasion d’expérimenter in situ la puissance immersive des avant-gardes folks.