Areski & Fontaine, Baraka 80 (Kuroneko)

Areski & Fontaine, Baraka 80 (Kuroneko)« Les temps s’annoncent difficiles pour les saints et les imbéciles »

Parfois un disque est mal né, au mauvais endroit, au mauvais moment. Détesté par ses auteurs, il reste sur le flanc pendant des lustres, au ban de l’humanité.  A écouter Les églantines sont peut-être formidables, on peut comprendre pourquoi, même si le document revêt une dimension historique indéniable, avec sur certains morceaux cette production variété-jazz-rock, un beau produit « requin », ça joue, sur laquelle les deux chansonniers ont du mal à s’y retrouver. On préfère de loin sa relecture contemporaine, Baraka 80 (peut-être que là, c’est le titre qui est pas fameux, genre cibiste 2000, mais passons, la photographie de la pochette est superbe), nouveau disque finalement qui défonce tout sur son chemin.

Brigitte et Areski / Photo : DR
Brigitte et Areski / Photo : DR

Reconstruction à partir de démos, exit le groupe, on ne sait pas trop les autres travaux de chirurgies esthétiques convoqués pour cette nouvelle naissance, mais les murs de la vieille bicoque ont été passés à la chaux. Débarrassés de ses oripeaux (accords diminués / augmentés  et soli mal à propos  – je vous laisse entre spécialistes), elle resplendit avec ces versions à l’os préférées aux habits colorés des musiciens de studio, le fantasme qui prend chair face à la vérité historique.

Table rase, donc : un parti pris acoustique, deux voix, une guitare (ou autre instrument avec quelques cordes) et de minuscules ornements qui laissent la poésie du couple se diffuser dans l’air, comme le génie de leur osmose artistique. Fontaine ressemble enfin à cette musicienne de génie,  des mots, de l’interprétation, à la pré science superbe, à la littérature unique. Areski, pareil, qui fait tout tenir avec rien, on dirait un disque enregistré hier pour je ne sais quel label provincial de maintenant (passion terroir / avant-garde), sur un 4-pistes, du post-baba percuté par autre chose, le no future peut-être. Les chansons La traversée (Brigitte Fontaine à son sommet d’émotion, c’est à pleurer devant toute cette beauté) ou Baby Boom Boom se posent en classiques de folie de folk français, La vache ou Le pif par leur peinture humoristico-sociétale se posent aisément dans le sillon d’Alain Peters, dans la course aux chefs d’œuvre du pays. Mélancolie, engagement sans naïveté, rire à fleur de peau, les chansons s’adaptent à notre humanité qui se transforme, une bande son sans illusion, mais terriblement en résonance avec maintenant.

On exhume pas mal de trucs dispensables, normal, on a besoin de distractions. Là, Baraka 80, c’est autre chose : plus qu’une réédition, un indispensable du temps présent, que l’entité Kuroneko a décidé dans une très belle inspiration, de recréer, de créer tout court. Alors que les relectures du passé ne nous amènent pas que du bon, réjouissons-nous de ce bouleversant cadeau : un disque prêt à devenir inusable, enfin.


[la note donnée par Renaud Sachet était originalement de 7/6, ndlr]

Baraka 80 par Areski & Fontaine est sorti chez Kuroneko

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