Y réfléchir à deux fois.
Ne pas s’échauffer trop et vite et bien peser le pour comme le contre avant de voir si c’était vraiment une bonne idée.
Nos princes de la cuite ont bien mis ce proverbe à leur ardoise. Avec leur retour aux affaires d’un air de ne pas y toucher, avec leur pataude dégaine de types qui sont juste passés prendre un verre mais couchent tout le monde au petit matin.
Aussi fécondes furent leur retrouvailles scéniques au fil du temps, l’idée d’un nouvel album valait-elle vraiment concrétisation ?
Aidan Moffat et Malcolm Middleton se sont laissé le temps d’y penser, d’y réfléchir sobrement (lol) avant de commettre l’irréparable et c’est bien mieux ainsi.
Car non seulement ils l’ont fait (y réfléchir à deux fois) mais ils l’ont bien fait, ce disque dont personne n’aurait pu imaginer la réalité plus de seize annuités après une première fin de carrière scellée par un dernier album justement intitulé The Last Romance (2005), puis le compilatoire Ten Years Of Tears (2006), rétrospective exemplaire d’un groupe qui plus que tout autre aura couché sur bande nos errements de jeunes non-adultes.
Conséquence directe et inavouable de cette annonce, une armée de vieilles filles et de vieux garçons mouillent à nouveau et auraient bien fêté comme à la grande époque l’événement en se retrouvant au comptoir sans pour autant vraiment respecter les gestes barrières. À défaut d’une petite excursion au petit coin de l’étage pour un petit moment reniflette / tripotage en toute discrétion, on présentera la grande magnificence de As Days Gets Dark comme une remarquable soirée pyjama / sushi / Menetou-Salon / baise effrénée (en option recommandée) en temps de pandémie.
Et vous allez voir que finalement, on y perd pas forcément au change.
Il n’était pas forcément besoin d’ailleurs d’être devin lorsqu’ils balancèrent l’impeccable The Turning Of Our Bones en premier extrait pour voir que les deux barbons n’étaient pas là pour se foutre de nous.
I don’t give a fuck about the past
Or glory days gone by (…)
And my confidence may crumble
But my brio is unbroken (…)
Just one sip, one shot, one kiss can cure us of our blindness.
Le programme est sans appel, on y retrouve ce génie absolu des tentatives du groupe à créer malgré soi et de manière complètement gauche une musique de danse avec des paroles à tomber. Car en plus de Tom Waits ou Will Oldham, l’autre influence occulte du duo, ce sont bien sûr ces soirées hédonistes et sans fin passées dans les clubs, celles du collectif Optimo à Glasgow en premier lieu.
Après ces effusions, le folk pastoral d’Another Clockwork Day passe comme une seconde introduction à un disque qui va se situer entre fête résignée et intimisme soigné. Pour la suite (Compresion Pt 1, Bluebird), c’est comme se mettre au pieu avec un fascicule connu par cœur pour se raconter des histoires rassurantes.
Interviewant Aidan Moffat à la sortie de Monday At The Hug And Pint (paradoxalement leur disque que j’aime le moins…), je l’avais un peu asticoté sur ses rapports avec la new wave et particulièrement avec The Cure, dont je retrouvais l’influence parfois prégnante au niveau des guitares. Il m’avait de suite envoyé une fin de non-recevoir en prétendant laisser cette passion puérile, dégradante et irrecevable à ses amis de Mogwai*. Les synthés période Kiss Me de Kebabylon me prouvent encore une fois qu’il s’était assez largement payé ma fiole, heureusement il y du saxophone pour noyer le poisson. On s’imagine vaguement le poignant Tears On Tour interprété par Bryan Ferry avant d’attaquer la piste à nouveau car Here Comes Comus !
Là encore — guitares, basse martiale et boîte à rythme d’époque — la nouillave est à la fête alors que l’improbable sosie d’Édouard Louis qui en bave dans le clip, pas vraiment, mais le refrain permet de relever la tête et de rester digne. Deuxième tube en force, nonobstant.
Fable Of The Urban Fox nous fait quitter la piste pour explorer les parcs et jardins, mais ces errances acoustiques tombent nez à nez avec une gentille nouba au fond d’un Biergarten sur lequel ils semblent être tombés tout à fait par hasard comme le tropisme Tolhurst au DX7 là encore inavouable. Ce sont pourtant de vraies cordes qui enluminent I Was Once A Weak Man, sorte de rap mou symphonique assez glorieux avec une narration qui replace, si besoin était, Moffat dans le peloton de tête des paroliers de langue anglaise nécessaires ex æquo avec Jarvis Cocker. Sleeper et Just Enough dans la même veine, confirment tranquillement la stature mieux qu’excellente de ce grand album inespéré et faussement paisible.
Il fallait donc y réfléchir à deux fois, comme dans cette chanson reprise des milliers de fois, Don’t Think Twice It’s All Right.
It’s more than all right, then.
Actually it’s absolutely fucking great.