
« Ça marche ? »
Anne Laplantine est une figure légendaire quoique toujours discrète qui a hanté le début du XXIe siècle : musicienne de l’ombre, elle a produit un certains nombres d’artefacts (cassette, vinyle, CD) sur plusieurs maisons de disques plus ou moins visibles. Avec cette façon de ne jamais être là où on supposait qu’elle soit : entre une synthpop en français bizarre, des piècettes lo-fi cubisto-brutes, et les instrumentaux électro 80s enregistrés – on imagine – sur ordi ou sur 4-pistes, elle a convaincu des marques qui avaient plutôt le vent en poupe : que ce soit à l’étranger chez les Allemands de Tomlab, ou que ce soit chez les Parisiens de Gooom Disques. Elle a aussi croisé ses compositions avec le top du pointillisme pointu, le trouvère folktronic Momus pour une pièce magnifique, Summerisle et joué avec quelques masques, comme une protection supplémentaire (alias Michiko Kusaki par exemple), l’amenant à être écouté plus en dehors du pays qu’ici même (de l’Allemagne au Japon en passant par les États-Unis). Le truc, c’est que si on l’avait un peu perdue de vue, elle n’a jamais arrêté, continuant d’œuvrer sur des cellules avant-gardistes cassettophiles Tanzprocess ou Midi Fish.

Un culte du secret presque que vient presque rompre, enfin calmons-nous, c’est aussi une cassette, Partons pour tu, sorte de rétrospective pour qui avait manqué des épisodes. Ce rattrapage tombe à pic pour rappeler qu’Anne Laplantine peut se poser tranquillement en chaînon manquant, faisant le lien entre l’électronique intelligente de chambre, la chanson lo-fi (Nordheim, l’un de ses sommets fête ses 25 ans cette année) des nineties et donc les jeunes gens qui ont envahi ces dernières années les plateformes avec leurs chansons mélancoliques élevées à Ableton et Autotune. D’ailleurs, quand j’ai recommencé à écrire en 2018, j’avais interviewé dans Langue Pendue Mili (Simili Gum) & dYMANCHE, et je ne fus guère surpris – un peu quand même – que ces deux jeunes gens connaissaient Anne. Il ne s’agit pas de transformer ici la musicienne en une sorte de Keyser Söze des musiques électroniques, mais on peut dire que son aura l’aura fait bien voyager dans le temps, des premiers frissons électroniques (si Active Suspension ou Clapping Music vous disent quelque chose) de la fin des 90 jusqu’à Salut C’est Cool pour lesquels elle avait travaillé un remix en 2015, et au-delà.
La cassette a bien un effet madeleine pour ceux qui auront trempé en auditeur dans l’une ou l’autre de ses affaires et défilent devant nos oreilles de sacrés paysages sonores réduits comme dans une bulle à neige, micro compositions, bandes originales pour instants fugaces, chansons de peu de mots (Les aléas, les amours, perfection), comme si le silence avait pris l’initiative de composer des petits hymnes à sa propre gloire. Il est temps de remettre dans l’histoire de nos musiques secrètes un peu de celle d’Anne Laplantine, parce que l’ambiance actuelle de ce qu’on écoute lui doit beaucoup, dans ce mélange d’affirmation ultra personnelle et d’effacement, comme ce petit hiss (ou buzz, ou hum) électrique qui passe dans le casque quand c’est mal isolé. On ne sait pas trop qu’elle est là, mais on l’entend toujours, sans la situer vraiment, bien rassurante.