C’est bien de trainer sur les réseaux sociaux un matin gris de vacances – presque un © Philippe Delerm. C’est bien parce qu’on apprend / découvre plein de choses – comme le fait qu’en mai prochain, Father John Misty va reprendre les chansons de Scott Walker sur scène à Londres ; ou qu’il existe de l’autre côté de l’Atlantique un duo masculin / féminin caché derrière le nom de The Lost Days qui a publié il y a à peine un mois un disque d’une exquise fragilité, In The Store – dix chansons jouées du bout des doigts et chantées du bout des lèvres en moins de 15 minutes ; et puis surtout, et ce grâce à un ami lointain perdu de vue depuis plus de dix ans, on apprend aussi qu’Amanda Brown a repris The Unguarded Moment de The Church – et là, ça fait beaucoup d’émotions en même temps pour notre petit cœur. On rembobine.
Amanda Brown, The Church, la période australienne, des souvenirs de voyage, une pochette de cassette dédicacée, les fauteuils rouges du Grand Rex, les escaliers de l’Élysée Montmartre et d’autres images qui se télescopent en flashes. Amanda Brown, à peine 20 ans quand elle rejoint The Go-Betweens, avec son violon, sa bouche rouge sang et ses robes à pois ; à peine 20 ans quand elle s’éprend de Grant McLennan (c’était peut-être l’inverse) pour vivre l’une des plus jolies histoires d’amour, et donc forcément l’une des fins les plus « eau de boudin”, de la musique pop – genèse et fin que Peter Milton Walsh a si bien contées dans les notes de pochette du second coffret dédié au grand œuvre du groupe australien – on peut relire cela en VF ici et là. Depuis la première séparation des Go-Betweens – l’histoire rependra ensuite mais sans elle(s) –, la musicienne n’a consacré que peu de temps aux chansons… En 1992, avec sa complice Lindy Morrison, elle publiait sous le nom de Cleopatra Wong un chouette disque qui n’aura même pas rencontré un succès d’estime pourtant mérité. En 2012, elle tournait en France comme membre de The Apartments ; et a joué sur des disques ici et là, The Underground Lovers, Mental As Anything ou Marty Willson-Pipper (le guitariste de… The Church). Mais depuis vingt ans, Amanda compose comme peut-être jamais elle ne l’a fait, pour le cinéma, pour des documentaires ou des séries télévisées et elle a ainsi à son actif une ribambelle de bandes originales. Et puis, voilà. On apprend par presque le hasard qu’elle a renoué avec le format pop, le temps d’un disque qui vient de voir le jour, intitulé Eight Guitars – parce qu’il semblerait que chaque chanson accueille un guitariste différent alors que l’ex-violoniste des Go-Betweens joue de presque tous les instruments sur chacun des titres, soient sept compositions originales et une reprise, donc.
The Church est l’un de ces groupes qui n’a sans doute pas eu tout le succès mérité – et encore moins la reconnaissance ou le crédit qu’il était en droit d’espérer, la faute à un hit exceptionnel éclipsant pour ainsi dire tout le reste de son œuvre, Under The Milky Way, et aussi peut-être à cause de coupes de cheveux pas forcément très heureuses. Pourtant, sa discographie des années 1980 est d’une qualité assez folle – hautement recommandée, la compilation Hindsight 1980-1987 dit bien le pourquoi du comment–, entre balades mélancoliques qui se nichent droit au cœur et mélodies pop qui collent aux tympans. The Unguarded Moment appartient à cette seconde catégorie. Deuxième single d’un premier album à la pochette aussi hideuse que ses chansons sont fréquentables, le morceau est l’œuvre du leader Steve Kilbey et de sa femme d’alors, Michelle Parker, sous le pseudo mystérieux Mikela Uniacke. Il est celui qui va permettre à The Church d’élargir dans son Australie natale son cercle de fidèles… Quarante-deux ans plus tard, Amanda Brown métamorphose cette pirouette power pop en une jolie chanson aux couleurs pastel tirant sur le bleu, une chanson empreinte d’une mélancolie printanière nimbée de reverb’ et sertie d’arpèges qui scintillent, bande-son parfaite pour les petits matins brumeux, pour les petits matins où s’invite la flânerie. Pour les petits matins heureux. Profitons-en, on ne sait jamais si ces moments durent longtemps.