À voix nue – Jean-Philippe Toussaint, Frida Hyvonen, Billy Wilder

Collage sauvage et de mauvaise foi de l’actualité culturelle de la semaine

Fedora de Billy Wilder (1978)
Fedora de Billy Wilder (1978)

C’est un arbre. Un chêne. Un vieux chêne qui porte de vieilles coupes sur son écorce. Il est beau, simplement là, depuis 1793. Il se nomme : arbre de la liberté. Sa résistance à être présent, je la trouve bouleversante. J’imagine la répétition des jours, des mois et des saisons. Ici, rien ne change véritablement. La bruyère incruste sa beauté entre les ardoises, au loin sur les routes un boucan de fleurs résonne à chaque rond-point. C’est marée haute et le sel dépose sa patine sur les vitres. L’importance d’un lieu, l’intimité que l’on partage avec un paysage, j’ai toujours été sensible à cela. Jean-Philippe Toussaint évoque lui aussi cette fascination du détail dans La disparition du paysage. Il note, avec talent, ces quelques variations qui viennent perturber la permanence d’un panorama. Un chardonneret sur la cime d’un hêtre, le jaune d’un ciré perturbant le gris de la grève et mille autres éléments encore, presque invisibles. On retrouve toujours cet humour chez Toussaint mais il y a dans ce court texte, un chagrin, une dernière image avant la tombée du rideau qui nous poursuit longtemps après la lecture. Le silence peut-être érotique, troublant et magnifique. Je me souviens de Frida Hyvonen, en concert privé dans un immense appartement parisien. Ses airs de diva, sa manière de jouer au piano quelques notes de Satie en se cambrant dans une magnifique robe noire. Sa grâce pour prendre son verre de champagne. Et, parfois, ses silences avant de chanter. Silence is Wild. Elle vient de publier une promenade, chagrine et lumineuse à la fois, A Funeral in Banbridge. Je la retrouve comme je l’ai toujours aimée – excessive et fragile. Sa voix peut tout envahir, trop forte, pleine, massive et pourtant si nue. Et c’est dans cette nudité, dans ce moment grave où elle se dévoile, sans limites, que je trouve Frida Hyvonen formidable. Si belle, comme réfugiée et en exil dans sa propre voix. La retraite et son mystère, c’est ce qui traverse l’un des derniers films de Billy Wilder, Fedora. C’est un film raté qui recèle de superbes moments. Étrange relecture du mythe de la star qui choisit la solitude à la lumière. Wilder a souvent interrogé la férocité de la surexposition. On se fait des ennemis, toujours. L’abandon des prétentions, l’Ophélie retranscrite dans une scène de bain, langoureuse et embuée de nénuphars, ou bien encore la fin tragique et ferroviaire qui rappelle Anna Karénine de Tolstoï, tout cela fait une aventure cinématographique fascinante. David Lynch a souvent regardé ce film romantique, inquiétant et vénéneux. Je trouve beau, aussi, cette idée de tous ces films à (re)voir, qui attendent, nous attendent. Ils attendent comme quelques variations dans la permanence d’un paysage. Ils sont là pour nous parler de nos vies parfois – regardons-les, alors.

La Disparition du paysage de Jean-Philippe Toussaint (Les Editions de Minuit, 48 pages)

A Funeral in Banbridge de Frida Hyvönen, extrait de l’album Dream Of Independence (sortie le 5 mars 2021 sur RMV Grammofon)

Fedora de Billy Wilder (1978)

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