…à la ligne.

« A la ligne » de Joseph Ponthus par Michel Cloup, Julien Rufié et Pascal Bouaziz en tournée

Michel Cloup, Julien Rufié et Pascal Bouaziz adaptent "A la ligne" de Joseph Ponthus / Photo : Stéphane Perraux via Ici D'Ailleurs
Michel Cloup, Julien Rufié et Pascal Bouaziz adaptent « A la ligne » de Joseph Ponthus / Photo : Stéphane Perraux via Ici D’Ailleurs

Lors de cet entretien croisé entre Michel Cloup et Pascal Bouaziz datant de l’hiver 2016, et resté inédit à ce jour, eux ne savent pas encore qu’ils seront sur la scène de Petit Bain ce soir, pour faire vivre les textes de Joseph Ponthus malgré la disparition de leur auteur. Et que deux jours après ce concert (ce Vendredi 15) sortira précisément Le Dernier Album de Mendelson. Sur lequel nous reviendrons, mais peut-être pas aussi vite, parce qu’il faut se laisser le temps de le digérer. Le temps de se préparer pour un (dernier ?) concert de Mendelson, groupe inoui et nécéssaire, toujours à Petit Bain le 11 Novembre prochain.
Pour ma part, je ne sais pas encore que c’est la dernière interview que je ferais en tant que pigiste pour une revue qui va cesser de paraître. Sans l’excellent Renaud Sachet et son excavation salutaire en vue d’un ouvrage très bien troussé et archi documenté à paraitre incessamment (Les Années Lithium, éditions Langue Pendue), ce grand moment de fraternité serait peut-être resté dans des archives informatiques en bien piètre état. On y croise Vincent Chauvier, Townes Van Zandt et Guesch Patti. C’est déjà pas mal.
Extraits. Et à ce soir.
Vous souvenez-vous de la première fois que vous avez écouté une chanson l’un de l’autre ?
Michel : Je me rappelle, c’était chez Vincent (Chauvier, ndlr). Il m’a fait écouter Par chez nous. J’ai trouvé ça bien, mais c’était une soirée où on avait beaucoup bu. Mon premier vrai souvenir, c’est quand vous avez joué avec nous au Café de la Danse. Je ne sais plus si j’avais déjà écouté l’album, mais vous voir sur scène avec Olivier, c’était chouette. Il y a eu une rencontre humaine. Il y a plein de concerts que j’ai oubliés, mais pas celui-là. Le premier album, j’aimais les guitares, le texte, il y avait une personnalité, un son, une sobriété élégante. Quand on a travaillé sur Quelque part, je suis entré un peu plus dans l’univers de Mendelson : la musique, les arrangements… C’était encore plus… racé.
Pascal : Avant de faire de la musique, j’écoutais tout. J’avais emprunté C’était un lundi…, notamment à cause de la pochette qui était hyper belle. Le premier vrai souvenir, c’est chez Vincent : on discute du premier album et je lui dis : «  Ce que je fais c’est du rock ! ». Ça le fait rigoler. Il me dit : « Mais c’est pas du rock ce que tu fais ». Et il me dit, je vais te faire écouter du rock. Après avoir écouté un titre de Mendelson, il me fait écouter un titre de Diabologum, sans toucher au volume sonore… Le canapé s’est reculé, je me suis retrouvé crucifié contre le mur. Le concert aussi, je m’en souviens, on ouvrait pour Diabologum, déjà, c’était un événement. C’était l’âge de bronze rencontre le XXe siècle. On était très farfelus avec nos instruments de bricolos, complètement à l’ouest.

Il y avait une grande concentration, une tension quand vous étiez sur scène.

Pascal : Tu sais que quand on arrivait ensemble à la fin d’un morceau, c’était une telle victoire !
Michel : C’est propre aux premiers groupes, avec Diabologum, c’était vraiment n’importe quoi, vous étiez des Joe Satriani en puissance à côté !
Pascal : Je ne sais plus dans quel ordre on a fait les balances, mais rien que de voir le batteur de Diabologum exploser le limiteur, sans être sonorisé… C’était l’armada.
Michel : Il y avait Guesch Patti dans la salle*.
Pascal : Et Daniel Darc dans les loges puisqu’il jouait avec vous. C’était très drôle, Olivier jouait avec une basse sans tête, comme la guitare de Lou Reed. Daniel Darc dit à Olivier : « Oh putain, la basse de ringard ! ». Bref, Diabologum, c’était une puissance de feu, un aplomb, une maîtrise, c’était très impressionnant de noirceur. Et quand ils descendaient de scène, ils étaient tout sympas, tout rigolos. Richard, tu le croisais dans la rue, tu changeais de trottoir ! Pour autant, Vincent ne voulait pas qu’on se connaisse, il ne supportait pas l’idée d’une famille… Avec Michel, j’ai de suite senti une communauté d’esprit. On ne cherchait pas de la même manière mais dans des directions très fraternelles. J’étais même descendu te voir à Toulouse, on avait essayé des choses. Ce qui est marrant, c’est qu’avec le recul, quand on écoute les disques sortis par le label, on entend à chaque fois ce qui pouvait intéresser Vincent, même dans les trucs que je ne réécoute pas, même quand c’était un peu raté. Il poussait vraiment chaque artiste à chercher sa différence, à aller au fond de sa personnalité.

Michel : J’entends souvent dire qu’il y avait des conflits avec lui, on pouvait ne pas être d’accord, et s’engueuler, mais globalement, on a eu de bons rapports. Encore aujourd’hui. Je pense encore à lui quand j’écris un disque, une chanson, quand je bosse sur un projet, qu’est-ce qu’il en aurait pensé. Quand je repense à Diabologum, on était jeunes, avec une grande capacité à s’éparpiller, on avait besoin d’être accompagnés. Il nous poussait dans des directions bien précises, certes, mais il avait un talent pour ça. Il n’avait pas fait d’études de directeur artistique… Entre une belle maquette qu’on avait bien enregistrée et un truc à moitié fini, mal foutu, il arrivait à discerner au-delà de l’apparence, quitte à balancer la première et à nous dire sur la seconde : « Ça, c’est bien, mais il faut encore le bosser ! » Dans nos maquettes, il y avait de ces trucs…
Pascal : Il décelait chez nous les points forts et les points faibles. « Excuse-moi, tu fais ce que tu veux, mais là, t’es bon, là t’es pas bon, ou banal, ou un parmi 15 000 autres ! ». Quand tu es jeune, tu tâtonnes, moi, j’avais envie d’être 4 milliards de gens différents avant qu’il ne me dise que je devais être Pascal Bouaziz et me montrer là où j’étais bon.

C’est la définition du directeur artistique à l’ancienne.

Pascal : Moi, je n’ai pas connu plus ancien que Vincent ! Mais ça ressemble à ça.

Pouvait-il se montrer trop intrusif ?

Pascal : On était quand même des adultes.
Michel : Si, on pouvait s’engueuler, ne pas être d’accord. Mais ça fait partie du truc. Il était impliqué, il vivait Lithium, respirait Lithium. Il a beaucoup investi d’argent, il en a perdu beaucoup. J’ai jamais rencontré quelqu’un d’aussi impliqué, d’aussi fou, d’aussi passionné. Même si maintenant, je sais qui je suis, et je ne pense pas que j’aurais besoin d’un rapport comme ça, mais à l’époque, je suis très content d’être tombé sur quelqu’un comme Vincent. Même si ce n’était pas toujours facile. C’était formateur.
Pascal : Mes premières maquettes, je les ai envoyées à l’intégralité du bottin (Le livre du rock) de Paris. Vincent est le seul à m’avoir répondu. Il était têtu, borné, bavard. En voiture à trois heures du matin, tu pouvais encore discuter avec lui, à parler de tes projets, de ceux des autres, à refaire le monde. Mais une telle implication, ça faisait du bien, tu vivais une histoire, tu ne faisais pas simplement de la musique. Il écrivait l’histoire du rock en France. Tu étais chez lui, ça te mettait une pression aussi, c’était exaltant, et j’y croyais : chez Lithium, on faisait cette histoire, en temps réel. C’était César et La Guerre des Gaules (sauf qu’il écrivait plus tard, 10 ou 20 ans). Bon, c’était une histoire parallèle, occulte. C’est comme le bouquin sorti sur Saravah… Le gars qui va écrire le bouquin sur Lithium, qu’est-ce qu’il y avait d’autre à l’époque ? Et même des amis qui sortaient des disques à l’époque, on le voyait bien qu’ils leur manquaient un Vincent. Il y avait un bon titre et après le reste de l’album…

Tu penses à qui ?

Pascal : Je ne pense à personne (rires). Par exemple, ce qui était insupportable, quand tu descendais de scène, Vincent te laminait, te dire tout ce qui n’allait pas, c’était dur à vivre, toi, t’étais tout content : t’avais joué 10 chansons, les gens avaient l’air content, non, Vincent te retournait la tête. C’était horrible, mais terriblement instructif. Et tu te posais des questions : pourquoi j’étais là, c’est quoi être sur scène, qu’est-ce que j’ai envie de faire ? Qu’est-ce que prendre la parole devant les gens ? Ça te donnait une haute idée de ce que tu faisais.

C’est de là que vient ton talent pour le stand-up ?

Pascal : Vincent voyait ça d’un mauvais œil ! Il ne voulait pas que je raconte des blagues. Je lui disais : « Écoute les concerts de Townes Van Zandt, il fait des blagues ». Il me disait : « Ça n’a rien à voir ». Je lui répondais : « Mais si, ça a tout à voir !».
Michel : Et là, c’était parti pour la nuit !
Pascal : Je me suis aperçu plus tard, que Van Zandt ne faisait pas les blagues à n’importe quel moment. Il ne les faisait pas avant Waiting Around To Die. Il ne les faisait avant Loretta ou d’autres. C’était construit, malin.
Michel : Je me souviens quand Internet est arrivé dans nos vies, avec les premiers mails, on envoyait des maquettes, les messages de retour étaient très longs. Il écrivait toujours : « Je vais commencer par les points négatifs ». Et on n’arrivait jamais au bout ! Il y avait une bonne énergie sur Lithium, chacun faisait son truc, rock, chanson, mais avec une communauté d’esprit. On peut retrouver ça chez Ici d’ailleurs, même si on ne passe plus nos nuits à discuter et qu’on n’a plus 15 ans.
Pascal : Si tu veux, quand on s’en va de Lithium, l’amitié qui nous lie, Michel et moi, la fraternité liée à nos parcours et à notre expérience sur ce label, remplacent d’une certaine manière cette présence d’un directeur artistique. On écoute ce qu’on fait et on se donne notre avis.


Pascal Bouaziz, Michel Cloup et Julien Rufié : À la ligne, d’après les textes de Joseph Ponthus, ce soir à Petit Bain avec Les Lignes Droites en première partie.
Jeudi 14/10 à Tourcoing (Le Grand Mix)
Vendredi 15/10 à Mulhouse (Le Noumatrouff)
Dimanche 17/10 à Chalon sur Saône (La Péniche)
Mercredi 17/11 à Namur, BE (Le Delta)
*depuis longtemps, j’ai deux mots à lui dire…

2 réflexions sur « …à la ligne. »

  1. j’ai une pensé pour Arnaud Michniak ,ce mec a un talent fou et n’a pas a souffrir la comparaison avec le vieux Cloup ni le Bouaziz ,hélas depuis 2014 il ne sort plus que des choses en digital et ne s’est trouvé plus aucun label pour le soutenir ,peu à peu mais surement il tombe dans l’ombilic des limbes de l’histoire de la musique et je trouve cela profondément injuste

    1. Peut etre que Arnaud Michniak a choisi la persistance solitaire a la perseverance dans un milieu ou il ne se sent plus exister..
      Ses qualités de textes (chez Programme ou en solo) n’ont aucun équivalent pour moi …..Il est le miroir de l’époque , trop fort pour etre écoutable et on restera quelques uns a s’en rendre malades….
      Le projet BRUIT NOIR de Pascal Bouaziz , sublime lui aussi , a t’il fédéré plus de considérations? non. la messe est dite..
      Salut a toi

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