Notre époque semble être une succession d’événements anxiogènes ne nous laissant guère de répits. Trump, Brexit, Paris à la croisée des flashballs et des voitures cramées… Les étoiles s’alignent pour remettre en cause les fondements de nos existences pacifiques. Au delà de ces événements qui nous touchent tous, il y a nos soucis personnels, ceux au fond plus difficiles à évoquer que les maux de notre temps. Au carrefour de nos vies, plus ou moins accidentées, la musique agit souvent comme un pansement à l’âme, de ceux capables de nous aider à affronter les turpitudes triviales comme les plus confuses.
Adolescents, nous étions tous à fleur de peau, incapables de faire le tri dans nos sentiments. Adultes, nous pensions savoir le faire, pourtant, parfois nous nous sentons submergés et dépassés. Dans ces temps incertains, quelques chansons parviennent à nous soulager et mieux que ça, à s’évader. Impossible de vous garantir que Predictions de 79,5 aura l’effet escompté sur vous (comme il l’a sur moi), mais indéniablement, cette sortie a un charme à part, un petit truc en plus, loin du tumulte d’une ère agitée, souvent dans le vide d’ailleurs. Les mauvaises langues n’y verront qu’un disque de soul mâtinée de disco plutôt rétro. À défaut de comprendre la grâce du fond, sur la forme, ils n’ont pas entièrement tort, les New-yorkais de 79,5 se sont abreuvés à la source Daptone. Une filiation plus qu’esthétique : le multi-instrumentiste Leon Michels, co-fondateur de Big Crown Records, est membre du backing band maison du label de référence, les Dap-Kings. L’enregistrement est vintage, jusque dans ses défauts, des bruits de fonds sur des pianos, ou des passages en stéréo un peu étranges. Loin de nuire au propos, cet ascétisme esthétique amène rondeur et dépouillement. Les arrangements brillent par leur délicatesse, chaque note est déposée avec soin sur un tapis velouté composé de Rhodes, instruments à vent (dont des flûtes particulièrement exquises) et rythmiques rebondies (avec un jeu de batterie très réussi). Les soli, loin de la démonstration, apportent ce petit supplément de feeling que nous aimons tant à débusquer. Surtout, les chanteuses Kate Mattison (songwriter en cheffe et créatrice du groupe), Nya Parker et Piya Malik flottent au dessus de l’effervescence, elles constituent indéniablement l’essence et la force de la formation. La proposition est groovy, dansante parfois (notamment sur la géniale version disco dub du single Terrorize My Heart) mais pourtant incroyablement honnête et juste. Loin de se cantonner à l’efficacité, 79,5 y met beaucoup de conscience et générosité. À vrai dire, nous ressortons de ce disque baignés de sentiments contradictoires navigant entre mélancolie (Facing East, la beaucoup trop courte Whispers, Predictions) et chaleur (Wavy, l’autre single Boy don’t be Afraid ). Les références n’échapperont pas aux puristes, en vrac nous pensons à Rotary Connection (le mystère), Shuggie Otis (Sisters Unarmed et son clin d’œil à Strawberry Letter 23) Undisputed Truth (les harmonies) ou encore The Jones Girls (la finesse). S’y arrêter serait une erreur, Predictions est assez classique certes, mais tellement joli et beau sur le fond. Difficile d’en sortir totalement indemne…