44 disques, 44 posts, mais certainement pas 8800 signes sur ce trésor (bien) caché qui connut plusieurs versions, toutes par le même groupe, The Nails.
A l’automne 1991, Rough Trade décida de lancer un Singles Club, sans faire mystère d’avoir piqué l’idée à Sub Pop. Vous contractiez un abonnement pour six mois ou un an et receviez par la poste un nouveau 45 tours chaque mois – vous pouviez également tenter de le choper chez votre disquaire.
Levitation, le groupe post-House of Love de Terry Bickers, fut la première référence, en octobre. Le single des Nails apparut en février 92, précédant d’un mois un chouette Mercury Rev – une reprise du If You Want Me To Stay de Sly and the Family Stone. La 16ème référence est évidemment chère à mon cœur puisqu’il s’agit de A Marriage Made In Heaven des Tindersticks, la version originale avec Niki Sin de Blood Sausage, pas celle avec Isabella Rossellini.
Bon, 88 Lines About 44 Women dans ma boîte à lettres, ce fut autant énigmatique qu’addictif.
J’en appris un peu plus sur cette comptine synthpop en retournant la pochette, où au recto trônait de dos une accorte jeune femme, probablement un cliché de maison close des années 1920 – il y avait également, glissé dedans, un insert avec d’autres photos kinky au cas où la musique n’aurait pas suffit à nous combler. Le titre, enregistré à New York, était originellement paru en 1981. Point, on n’en saurait guère davantage.
Plus tard je mis la main sur une édition 7’’ de 1982 avec une B side différente, puis appris que la chanson était déjà présente sur un EP intitulé Hotel For Women (1981, effectivement).
Si 88 Lines About 44 Woman n’est pas né par accident, au moins appelons ça un heureux hasard, ou, même si j’y connais nib en chimie, un précipité quasi instantané.
Un rythme squelettique issu des presets d’un nouveau Casio qu’on découvre en tâtonnant, un riff riquiqui qui sur 4 minutes soutiendrait facilement 44 couplets, le souvenir de femmes, certaines réelles, rencontrées entre Boulder, Colorado (dont les Nails sont originaires) et New York (où ils viennent de s’installer), d’autres fantasmées, des paroles écrites en deux heures, et la chanson était prête. Elle sera enregistrée le lendemain dans le petit studio installé dans le loft qu’occupe le groupe – à l’époque tu as tout l’étage pour moins de 1000 $ de loyer.
Il a été pas mal reproché à Marc Campbell et David Kaufman – mais plus tard, après que le titre a été réenregistré en 1984 avec une instrumentation plus conséquente, pour leur premier album Mood Swing, et qu’il se tailla un petit statut de hit underground – d’avoir pompé une chanson du Jim Caroll Band. Pour mémoire, Jim Caroll, avant d’être musicien, est surtout l’auteur des Basketball Diaries, à lire d’urgence si ça n’a pas été déjà fait. Et puis pour les exégètes du Velvet, c’est lui qui tient le micro du magnétophone sur lequel Brigid Polk enregistre le Live At Max’s Kansas City, et qui réclame du Pernod entre les morceaux. Bon, il y a effectivement dans 88 Lines certaines similitudes avec People Who Died, présente sur l’album Catholic Boy (1980), tout comme il existe également une palanquée de chansons à liste. Faux procès, donc. Campbell s’en défend et préfère avouer que le ferment sur lequel la chanson a été écrite est le I Remember de Joe Brainard, dont Georges Perec s’est inspiré pour son propre Je me souviens.
Pas certain que Perec ou Brainard se seraient laissés aller à des lignes tel Sherry was feminist / She really had that gift of gab, ou encore Tanya Turkish liked to fuck / While wearing leather biker boots. Campbell s’en amuse, reconnaissant même quelques années plus tard que la dite Tanya bottée était la femme avec qui il vivait l’époque. Et puisqu’on en vient à évoquer certaines préférences sexuelles, notons qu’en 1984 apparut une X-rated version du titre. En fait, un simple attrape-couillon remixé, avec un fade out plus long de 5 secondes.
J’ai parlé plus haut de hit underground. Faut pas exagérer non plus, et Campbell et Kaufman ne se sont pas fait un kopek sur le dos du morceau durant les 80’s. Leur deal de 84 avec RCA perdurera deux ans, le temps d’enregistrer un second album voué aux oubliettes et puis rideau.
Mais 15 ans plus tard, la fée publicité volera au secours des Nails. 88 Lines sera repris (avec des paroles différentes, of course) dans un spot pour la Mazda Protégé, spot matraqué sur les networks américains entre 1998 et 99. Ce qui donnera des idées à d’autres créatifs. Le morceau apparaitra ainsi dans une bande annonce pour la série Dexter (26 Lines about 13 Psychos), ou encore dans une campagne anti alcoolisme de l’Etat du Massachusetts. Le tout sans autorisation aucune. D’où procès et rente confortable pour les deux gars des Nails, qui n’allaient plus s’embarrasser à sortir des disques.
Si, au-delà d’un lot de parodies qui, suite à la pub Mazda, ont fleuries à la fin des années 90 (88 Lines About 44 Simpsons, 88 Lines About 44 Fish, 88 Lines About 42 Presidents, n’en jetez plus) il fallait trouver une descendance à 88 Lines About 44 Women, c’est chez Stephin Merritt que j’ai envie d’aller la chercher, et plus précisément dans le Grand Œuvre des Magnetic Fields, 69 Love Songs. Pas uniquement à cause de rapprochements hasardeux entre deux très belles lignes des Nails, Reno was a nameless girl / A geographic memory, et cette chanson merveilleuse qu’est Reno Dakota, plutôt parce que Merritt, en opérant un déplacement entre femme et chanson d’amour, livre une version kingsize et sublimée d’une ritournelle troussée en une demi-journée.
Vous savez, ces fameux petits ruisseaux qui font les grandes rivières.
Je n’étais pas abonné au club de Rough Trade, mais je l’étais aux Inrockuptibles.
J’ai donc connu cet excellent titre des Nails grâce au CD « Seven inches » qui compilait 7 faces A de 7 des singles :
https://www.discogs.com/Various-Seven-Inches/release/4253465
de chez le club single de rough trade j’avais acheté a londres à l’epoque Vic Godard – Johnny Thunders et Strangelove – Zoo’d Out