La première fois où je me suis fait gauler par les vigiles de la Fnac, c’est avec un CD de My Bloody Valentine sous la chemise. Un disque que je possédais déjà en vinyle. C’était pas rien, mais ça c’est bien terminé. Les types m’ont fait la leçon, puis laissé repartir en agitant des menaces en cas de récidive. S’ils avaient su le nombre de bouquins que j’avais réussi à escamoter à l’Agitateur depuis 1954. L’erreur fut donc de passer au digital. On m’y reprendra plus. Le plus drôle dans l’histoire est que je vivais justement avec une fille prénommée Valentine et que ce n’était pas funny tous les jours. 1987-92, sûr que durant ce quinquennat, les disques dans lesquels je me réfugiais ont pu m’aider à maintenir le cap. Qui sait pourtant si je n’aurai pas rempilé pour un nouveau mandat ? Sauf qu’on m’a définitivement bloqué l’accès aux urnes.
She made me realise a posteriori que je me fourvoyais, et aujourd’hui encore je ne sais plus trop où j’en suis – mais question chronologie cette fois. Car au moment d’entamer cette chronique, j’étais intimement persuadé que ce EP sismique et grandiose était postérieur à Isn’t Anything, l’objet du délit évoqué. Chacun sait qu’il n’en est rien, mais avec Valentine le chemin fut tellement tortueux qu’une inversion de station ne mérite guère l’excommunication.
Faisons sciemment l’impasse sur les débuts en 1985, un premier album qui n’en est pas vraiment un et Geek!, un EP de rockab’ goth, genre Release The Bats mais sans Nick Cave, sans Mick Harvey, sans Rowland S. Howard et sans chauve souris non plus. Pas grand-chose, quoi.
La véritable naissance de My Bloody Valentine se fera sous l’égide de Joe Foster, The New Record By, quatre titres de noise pop post-Psychocandy enregistrés dans une lessiveuse, néanmoins dans le haut du panier à linge de la scène C86. Ils rejoignent ensuite sur le label Lazy les Primitives – trois garçons fringues noires coupes au bol fascinés par le Velvet (ils ont piqué leur nom à un des premiers groupes de Lou Reed) qui ont recruté une wannabe Debbie Harry chez Tesco, Tracy Tracy qu’elle s’appelle – et les Valentines enregistrent Sunny Sundae Smile, de la twee pop avec des épines, un titre – le dernier avec David Conway au chant – exagérément estival pour un EP qui sort en février 87. Bilinda Butcher arrive au printemps pour Strawberry Wine et sa présence est déjà déterminante, notamment dans l’entrelacs des vocaux avec Kevin Shields. On en est là, à l’automne 87 quand sort Ecstasy, un EP 7 titres pour le moins bancal et mal nommé. La fête twee est bien finie, le vin fruité a tourné, tout vire à l’aigre. Il suffit de regarder leurs têtes de boute-en-train sur la pochette, l’amorce de finger fuck de Debbie Googe à la caméra, pour diagnostiquer que ça ne va fort. Les compositions le reflètent, en demi-teinte, oscillant entre supernovas et queues de comètes, voire queues de cerises. La maison Lazy ne semble pas avoir les épaules assez larges pour les accompagner. Nos quatre loustics sont à la croisée des chemins et le savent très bien. A quoi peuvent-ils prétendre, quelles options se dessinent ? A ce stade ils ont le choix entre enregistrer Nowhere une année avant Ride ou faire comme leurs voisins de palier les Primitives : signer sur une major, décrocher un hit, un Crash bien rutilant pour ensuite échouer au cimetière des voitures. Fin du bal, haro sur le baudet et viva la muerte.
Evidemment, Kevin Shields a d’autres ambitions. La première, qui le taraude depuis un bout de temps, est de rejoindre l’écurie Creation. Il envoie Joe Foster au front mais Alan McGee rigole sous cape. A ses yeux, les Valentines ont toujours des anoraks sur le dos et sonnent comme du mauvais Pastels. Il suffira d’un concert en première partie de Biff Bang Pow ! pour que MBV retourne totalement The President. « The power was so amazing. It was so raw. They sounded like a psychedelic Motörhead », avouera un McGee conquis.
Si j’en avais le temps et le courage, j’essaierais bien de remettre la main sur des interviews de 1988 pour comprendre ce qu’avait Shields en tête. Ce serait peine perdue, je crois me souvenir que le garçon a toujours été peu loquace, évasif et nébuleux en entretien. Définitivement pas le type d’exercice qu’il affectionne. Et il y a fort à parier que lui-même n’avait pas la moindre idée de ce qui se tramait. Alors on peut lancer des pistes, émettre des suppositions. S’est-il tourné vers le noise américain, attentif à la montée en puissance du Sonic Youth de Sister ? A-t-il mis la main à la cave sur des conserves périmées de Ege Bamayasi ? Lui a-t-on glissé Metal Machine Music sous le sapin à Noël ?
Tout ça n’est pas suffisant. Pas suffisant pour expliquer comment un groupe dans l’impasse puisse dégoupiller un tel disque, et le lancer ainsi à la face du monde. En plein mois d’août !
You Made Me Realise nous prend par surprise. Sans l’ombre d’une intro, les coups du batteur Colm pleuvent à verse. Certains titre d’Ecstasy nous avaient préparé à cette arythmie, elle sera désormais l’une des fondations les plus solides du son MBV. La ligne de basse, métallique et serrée, pourrait parfaitement nous compresser la glotte, comme dans les films de maffieux, si le barbelé des guitares n’était pas déjà venu nous entailler sévère. La voix devrait pourtant agir comme un bienveillant tampon d’éther, mais les paroles ne nous laissent guère de choix : Come, come, get the hell inside / You can close your eyes / Well you might as well commit suicide. Quinze mois auparavant on nous susurrait I’m gonna make your mouth / A sunny sundae smile tout en agitant gentiment un petit tambourin, désormais c’est du verre pillé qu’on nous fait mâcher. Encore eût-il fallu prêter plus d’attention à la pochette, où l’air extatique de la jeune fille en fleur (un certaine Melanie, et non Bilinda Butcher comme certains ont pu le penser) s’expose à la lame du couteau.
La première salve nous a cueilli à froid, la seconde précipite notre reddition. Il ne nous reste plus, avant d’être à nouveau emporté, aspiré, victime consentante, par le déluge final, qu’à nous baigner, soutenus par une seule note de basse, dans le Léthé du break central, tourbillon de saturation, de reverb et de bruit blanc. Sur le disque, cette faille sonique dure approximativement quarante secondes. Sur scène, le groupe ne se privait guère de l’explorer nettement plus profondément et de livrer soudain un bloc d’abîme – pour reprendre sans vergogne le titre du bel essai qu’Annie Le Brun a consacré à Sade – pouvant courir de cinq à trente minutes, jouant avec les capacités de résistance d’une audience médusée. Ce moment de perdition des sens (et principalement de l’ouïe, malmenée comme jamais depuis les Swans) a hérité de l’appellation douteuse de holocaust section, et souvent je me réjouis que Claude Lanzmann n’en ait jamais eu vent.
Combien de temps cette parenthèse d’Armageddon sonore a-t-elle duré le mercredi 22 mars 1989 ? Pour promouvoir la sortie, quatre mois plus tôt, de Isn’t Anything, premier classique du groupe – et qui reste aujourd’hui encore mon album favori. Après plus d’une centaine d’écoutes de Loveless, je pense n’avoir toujours pas compris, et encore moins apprivoisé ce disque – My Bloody Valentine était venu à Paris donner un unique concert au New Morning. Un concert devenu mythique pour sa double affiche, les Happy Mondays faisant parallèlement la retape pour Bummed, disque de malades lâché sans précaution aucune au même moment. J’ai beau être devenu fordien depuis quelques années (il m’en aura fallu du temps pour passer de Hawks à Ford, beaucoup plus que pour glisser de Brel à Scott Walker), j’éprouve une légère réticence à imprimer la légende. Ce concert, on l’a évidemment terriblement fantasmé avant, dans les jours puis les heures qui le précédèrent, mais pas autant qu’il ne l’a été après, par ceux qui y étaient comme par ceux qui n’y étaient pas. Des Mondays, je me souviens moins d’eux sur scène que dans le fumoir attenant, roulant hilares des spliffs de la taille d’un cornet de frites. Et MBV, ma foi, comment l’expliquer ? On pourra mettre ça sur le compte de la salle, ou pas. Mais j’ai le souvenir d’une déception assez cuisante, d’un son ramassé, à l’étroit, peinant à nous emporter par vagues multiples dans ces zones où l’absence totale de prise nous comble. C’était il y a plus de trente ans, peut-être est-ce la mémoire qui s’est érodée, malmenée par d’autres assauts essuyés ensuite. Peut-être un témoin me prendra à défaut, m’affirmant que j’étais ce soir là en pleine félicité, le torse offert aux lames des guitares comme aux infrabasses. Je ne voudrais pas casser le jouet favori de personne. Je suis certain qu’il y en a parmi vous qui étaient présents au New Morning et sauraient me donner tort.
So, go on, make me realise.
Cher bernard pour beaucoup de personne de notre génération le choc musicale du debut des 90b’s ce fut loveless des MBV mais pas pour moi ,mon immense choc c’est MOONSHAKE ,leur 3 premiers album pour le compte du label too pure furent un immense uppercut pour moi ,en pleine vague britpop leur album furent totalement ovniesque pour leur epoque et les albums de MOONSHAKE me parlent encore en 2020. https://youtu.be/2H2XhilnNY8
je me suis fais aussi gaulé dans une fnac de province et le pire j’y etais employé ,j’avais mis un sticker moins 20 pour cent sur un maxi 12″ de the boo radleys dont avec les années j’ai oubliez précisément duquel il s’agit véritablement , le 15 du mois j’avais deja claqué tous mon blé en disque et je me trouvais sans le sous le jours de l’anniversaire de mon pote Christophe , alors j’ai commis ce méfait pour lui offrir en cadeau , a la caisse c’est passé comme une lettre a la poste sauf qu’une fois arrivé a l’escalator le vigile m’y attendais de pied ferme ,je me suis pris un sérieux avertissement ,ce fut mon premier et dernier « vol de disque » chez un disquaire hormis deux ou 3 cassettes audio que j’ai jamais rapporté a la mediatheque du quartier