Je portais un t-shirt Stereolab, orange sur fond vert, le jour où j’ai manqué me jeter dans la Seine.
C’était un 1er mai, et c’était un dimanche aussi. C’était une journée splendide, baigné d’un soleil radieux, du peu que je pouvais en voir par intermittence humide. Je travaillais en sous-sol à la réalisation d’un générique pour un programme télévisé, avec Frédéric, le monteur, aujourd’hui disparu, emporté trop tôt par une maladie qui ces derniers temps se rappelle un peu trop souvent à mon souvenir. Toutes les heures je sortais dans la rue déserte, pas pour fumer, non (à l’époque on clopait comme des cosaques dans les salles de montage) mais pour masquer ou tenter d’endiguer le flot des larmes. Je vivais alors le pic (on ne parlait pas encore de plateau) d’une grosse déprime d’origine inconnue – je n’osais alors, et n’oserai point encore, employer le terme de dépression, mais c’est bien là juste une question de vocabulaire – intervenue quelques mois auparavant. C’est Ayrton Senna qui m’a sorti de là.
En fin de journée, alors que je suis encore en train de me répandre sur le trottoir de la rue Sébastien-Mercier, Fred vient m’annoncer que le pilote brésilien est décédé suite à un accident survenu au sixième tour du Grand Prix de San Marin. On monte à l’étage du bâtiment regarder le journal télévisé. Il y a du sang sur l’asphalte, il y a surtout le nom de cette petite ville italienne, près de Bologne, où est situé le circuit automobile. Imola. Je perçois vaguement à ce moment précis – l’inconscient est structuré comme un langage – que je suis tiré d’affaire. A Imola ce jour-là, Senna est mort pour moi.
Il me faudra encore quelques longues semaines pour retrouver un semblant de forme, un équilibre, un mood où lentement s’estompe le bleu. Des semaines claudicantes mais également ponctuées d’oasis maniaques et éthyliques, tel ce lost weekend de quatre jours à Tolède où, avec Marcos et Uwe en irréprochables Harry Nilsson, on se fait la promesse de vider toutes les poussiéreuses bouteilles de Ricard de la ville. Du dernier jour, je ne me souviens que de cette belle copie du Pleasures Of The Harbour de Phil Ochs, escamotée pour quelques pesetas dans une boutique de la vieille ville.
En juillet, je vais mieux. J’ai rangé le t-shirt Stereolab, relique aux couleurs impossibles qui restera éternellement attachée à cet épisode dépressif. Pour tenir à distance le retour du refoulé, j’ai même cessé d’acheter leurs disques (me privant ainsi, quel con !, du split single avec Yo La Tengo), cessé d’écouter le Groop alors que j’avais assisté aux prémices amoureux de sa naissance, un soir de septembre 1988 au New Morning.
Je les suivais depuis Red Sleeping Beauty, leur deuxième single, mais je m’étais sans le vouloir rapproché (mais pas trop) des membres de McCarthy quand Agnès entama une romance – suivie d’un mariage et de deux enfants – avec Malcolm Eden. Lors de ce concert au club de la rue des Petites-Ecuries, on ne pouvait pas ne pas remarquer cette jeune fille qui ne cessait de tourner autour de Tim Gane. Près de trois ans plus tard sortait l’acte de naissance vinylique de Stereolab, intitulé Super 45, sur le label Duophonic (confié aux bons soins de Martin, immuable manager), avec sur la pochette la première des variations de Cliff, mascotte graphique que Tim à emprunté au personnage créé en 1970 par Antonholz Portman pour son comic Der tödliche Finger (le doigt mortel). Evidemment, je me ruais dessus. Dois-je l’avouer, je restais plus que circonspect. La voix mal assurée de Laetitia m’importunait et je n’avais pas bien saisi le concept politico-musical qui s’ébauchait ici. Pire, Stereolab échouait à effacer le split de McCarthy. Les choses allaient progressivement se dégauchir mais ce n’est qu’à l’orée de 1993 que l’addiction s’imposera avec la saveur imparable du John Cage Bubblegum. L’attente de la révélation n’était nullement un frein à l’acquisition des sorties suivantes, Super-Electric sur Too Pure (le label qui hébergeait les copains de Th’ Faith Healers, avec qui Stereolab partageait un batteur, le photographe Joe Dilworth) ou ce Stunning Debut Album, premier de leurs singles à sortir au format 7 inches. Personne chez Danceteria, le disquaire parisien de ces 90’s débutantes, m’a avoué que j’achetais là un mispress qui, avec 209 autres exemplaires, avait échappé au pilon. 790 copies, sur les 1000 qui à l’origine devaient se présenter sous une forme transparente avec des éclats de couleur, avaient été recyclées après que Tim découvrit que le pressage présentait finalement une teinte vert marronnasse peu engageante. Les 210 rescapés peuvent aujourd’hui se targuer d’une côte honorable sur le marché des collectors. Oh, black sheeps of the world unite and take over.
Face A : Doubt. Face B : Changer. Changer d’avis malgré le monde / Changer la vie et puis le monde. On ne peut rêver mieux pour illustrer ce que l’on endure aujourd’hui, notre rapport à ces gouvernants indignes qui finiront par essuyer ce Peng ! à la fois mérité et promis. Rêver mieux pour porter nos espoirs en ces bouleversements à venir.
Confiné mais pas totalement déconfit, je réécoute avec un plaisir non feint Stunning Debut Album et l’essentiel de la discographie de Stereolab. Après la mise en sommeil nécessaire de 94, j’avais renoué avec les expérimentations de Laeticia et Tim lors de la sortie de Emperor Tomato Ketchup (un disque qui tire son titre d’un film de Shūji Terayama ne peut pas être mauvais, sauf s’il est signé Bérurier Noir). Puis à nouveau persister dans ce rapport sinueux à leur trajectoire, une fois in, l’autre fois out. Ainsi, au Portugal en 2004, c’est l’écoute en boucle de la cover de Peng ! 33 par Iron and Wine qui m’avait fait rentrer au bercail – une déviation qui en vaut une autre. Je les imagine aujourd’hui dans une situation similaire à la nôtre, attendant de reprendre le cours d’une vie normale, s’attelant qui sait à de nouveaux morceaux, ces chansons d’un nouveau monde. Je me souviens enfin de ce titre, Tomorrow Is Already Here, et je me plais à le jouer en 45 tours pour que le jour d’après advienne au plus vite.
tu souviens de herzfeld?.https://disques-perseverance.bandcamp.com/album/herzfeld-the-sack
L’incarnation suivante de Malcolm Eden, en hommage à John Heartfield / Helmut Herzfeld, dadaïste anti-fasciste.
La stèle de sa tombe, à Berlin, orne « Two Mothers », le premier 45 tours, édité comme de juste par Duophonic Super 45’s.
Hello! Any chance that you’d be willing to sell this record? I’ve been in search of this multi-colored version for ages! Thank you kindly for your consideration! Doug