Rien ne presse. On ne va pas de sitôt vous inviter à danser la carmagnole sur les décombres. Ni à céder aux sirènes de la collapsologie ou prêter le flanc aux théoriciens de l’effondrement, Cassandre a la pensée moins complexe que nébuleuse. N’empêche que flotte dans l’air comme un parfum de fin, fin de règne plutôt que du monde, que, tout confiné qu’on est, on pourra au choix conjurer ou célébrer par de lascifs déhanchements sur nos dancefloors improvisés. Pour ce faire on avait d’abord extrait de la pile le Death Disco de Public Image Limited, vite remisé car décidément trop martial en cette période kaki marine (faudra quand même se faire à l’idée de naturellement dégainer un Ausweis dès qu’on sort du bois pour se réapprovisionner en spiritueux).
En embuscade et nettement plus frétillant se tenait Apocalypso du Monochrome Set, formation d’obédience dada définitivement pas à cheval sur les convenances pop, emmenée par le prince indien pince-sans-rire Ganesh Seshadri (qu’on épèlera B-I-D pour plus de commodité) et ses complices en excentricité Lester Square et Andy Warren. Derrière le réjouissant mot-valise, Apocalypso (sorti en single, mais qu’on retrouve également sur l’album Love Zombies) sert surtout de mot d’excuse à ce gout de l’hybridation débridée qui est la marque de fabrique de la bande à Bid. S’il y a bien un frottement de güiro dans l’entame, puis quelques incursions de steelpan pour faire illusion, le Monochrome Set n’a nullement l’intention de partir en virée à Trinité-et-Tobago avec les Andrew Sisters. De fait Lester Square a tôt fait, lesté de sa guitare surf, de renvoyer les idiophones aux abonnés absents pour multiplier les chemins et les accords de traverse. Et Bid de se livrer à une merveille de texte faussement cynique où, plus tongue-in-cheek que jamais, il entend engloutir en trois-pièces Cardin une boîte entière de Suchard pour couvrir le bruit des B-52s prêt à larguer leurs bombes. Si comme le prétendait Philippe Auclair, le Monochrome Set est parvenu à réaliser cet idéal de musique d’ameublement prônée par Satie, il nous invite néanmoins à déplacer enfilade scandinave, table basse Jean Prouvé ou fauteuil Ikea (cessons de la ramener) pour qu’on puisse remuer à notre aise et piétiner allègrement la catastrophe annoncée. Avant que sonne la fin de la récré et que la vie domestique reprenne ses droits : « chéri, c’est bien joli tes exercices de gym tonic dans le salon, mais n’oublie pas que t’as une gouttière à réparer ! »
Anecdote : je suis en train d’écouter le morceau quand Marie (ma femme) passe derrière moi et me dis d’une façon très étonnée : « t’écoutes Dionysos toi maintenant ? »