Playlist : El genio de Sr Chinarro

(Presque) 30 ans, 4 labels, 16 albums, 3 compilations, 1 nombre incalculable de musiciens. Ainsi résumé, le parcours du Sévillan Antonio Luque, alias Sr Chinarro, donne un peu le vertige. Ça tombe bien, l’écoute de ses chansons, ambassadrices d’une post-pop dessinée dans le clair obscur, également… Quelques semaines avant son concert de poche francilien chez nos amis de Life Is A Minestrone, cette playlist nous rappelle à son génie.

BONUS : Le portrait que nous lui avions consacré dans Mushroom en décembre 2017.
Antonio Luque / Sr. Chinarro
Antonio Luque / Sr. Chinarro

Ce n’est pas le genre de la maison, et pourtant… Antonio Luque, unique tête pensante du groupe sévillan Sr Chinarro se retourne sur son passé et réunit sur une compilation cinq singles et EP depuis longtemps épuisés, vestiges de sa première vie artistique, alors que l’homme donnait l’impression d’ériger, à chaque nouvelle chanson, le spleen en idéal.

Peut-on décemment broyer du noir sous le soleil andalou ? À l’écoute des dix-huit titres de la compilation Balones Fuera – Epés reunidos (1993-2002), disque “virtuel”, uniquement disponible pour le moment en téléchargement ou streaming – mais je m’occupe d’une pétition et d’une page Facebook pour changer fissa cette situation absurde –, il semblerait que oui.
En tout cas lorsqu’on s’appelle Antonio Luque, l’un des survivants de cette scène indépendante espagnole née à l’orée des années 1990, aux côtés, entre autres, des défunts Le Mans ou Family, de ses amis Los Planetas, d’Elefant Records, de feu le magazine Spiral ou du Festival Internacional de Benicassim. Humour second degré à couper au couteau, personnalité bien trempée, charisme inné, Luque est à Sr Chinarro – ainsi baptisé d’après le nom de famille d’un fameux acteur espagnol – ce que Mark E Smith est à The Fall, Lawrence à Felt, Robert Smith à The Cure : le seul décisionnaire des orientations musicales, passé maître dans l’art de savoir s’entourer – son “lieutenant” David Belmonte, rouage essentiel entre 1997 et 2000 d’un groupe à géométrie souvent variable. Pour résumer le personnage, Luque est (était) du genre à donner un concert en n’interprétant que des morceaux inédits – je me souviens d’avoir vécu cette expérience en mars 1994, au Maravillas à Madrid, alors que Chinarro (pour les intimes) venait présenter son… premier album dans la capitale espagnole.

Le “groupe” avait bousculé mon quotidien un an plus tôt, en déboulant avec un single vinyle à la pochette “gatefold” sous le bras, Pequeño Circo, également acte de naissance du label madrilène Acuarela – qui, quelques années plus tard, découvrira Migala, et accompagnera, non sans bouderies et autres engueulades homériques, Sr Chinarro jusqu’en 2002 et une séparation à l’amiable. En trois chansons enregistrées avec quelques bouts de ficelle – Desilusión, En El Panal et Helado (dont une version plus aboutie se trouve sur le premier album) –, le Sévillan définissait dans sa langue maternelle les contours d’une pop noire, marquée par un orgue tourmenté, une basse en apnée et des mélodies obsédantes. Sans jamais les parodier, l’homme conjuguait alors ses influences avec élégance, qu’elles soient anglo-saxonnes (pêle-mêle, The Cure, The Durutti Column, The Dream Syndicate, Joy Division / New Order…) ou espagnoles (les acteurs de la Movida, à l’instar d’Aviador DRO, Decíma Víctima ou Ilegales). Et cette formule, le plus souvent accompagnée de textes abscons, Luque va la décliner sans jamais donner l’impression de bégayer, comme en témoigne l’évidence inquiétante de Su Mapamundi, Gracias. Ou, surtout, l’absolument génial Cero En Gimnasia, titre phare de La Pena Máxima (l’un des meilleurs disques extrait de la discographie pléthorique de Chinarro – quinze albums au compteur à ce jour), aux chansons colorées par des violons frissonnants – les pizzicati de La Noche Del Almax, les tirades majestueuses des couplets de Hip Hip Hurra. Et si Luque passe à confesse et avoue sa… Foi millésime 1981 sur le tourneboulant Un Trébol De Tres K (ces violons, encore), Antonio Luque vit aussi en phase avec son époque. Ainsi, dès Musaraña etc. (la face B de Su Mapamundi, Gracias, sur le single Lerele paru en 1995), résonnent quelques échos de l’indispensable Hex de Bark Psychosis.

Dessin : www.seitoung.fr

Alors, Sr Chinarro affiche crânement ses liens de parenté avec certains de ses contemporains. Sur les deux derniers EP ici compilés – les quatre chansons de La Casa Encima et les cinq morceaux de La Tapia De Perejil –, Luque a ralenti le tempo, baissé les stores et (se / nous) plonge un peu plus dans l’obscurité. En écho aux productions de Codeine, Piano Magic, Hood ou Arab Strap, les arrangements sont plus arides et les mélodies moins évidentes – mais pas moins obsédantes. Sur Hay Vida En El Foie Gras (ce titre, quand même !), l’Andalou égrène sur un ton désabusé des mots qui se font plus rares alors que les guitares luttent contre une batterie métronomique. Il accorde aussi de la place à quelques arrangements électroniques : boucles répétitives, samples, boite à rythmes viennent (dés)habiller des chansons qui invitent à l’introspection – l’hypnotique 25W De Una Idea. Noir, c’est noir ? Oui, c’est vrai, mais il reste toujours un peu d’espoir. Celui de voir aujourd’hui, à l’aune de cette compilation indispensable, des cohortes de mélomanes découvrir ces chansons et comprendre que, à l’heure de décliner une post-pop mélancolique et troublante, l’un des groupes les plus doués et excitants des années charnières entre XXe et XXIe siècle se terrait (se terre), sous les ordres d’un artiste qui n’a jamais pris le temps de faire des concessions, dans le sud de l’Espagne. Sous le soleil exactement.

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