Papivole#4, Mon histoire avec la presse musicale, 1978-2018 : Le fanzine Fond de caisse

Fond de Caisse
Fond de Caisse #1

Après Le Gospel dont j’évoquais la naissance avec Adrien Durand, son fondateur, dans Papivole #3, je m’attarde aujourd’hui sur Fond de caisse. Comme le monde est petit, j’en avais appris la gestation en m’entretenant avec Mili & dYmanche pour Langue Pendue, drôle de duo, alors installé à Lyon et qui fréquentait les jeunes gens impliqués dans le projet qui n’avait alors pas encore de nom. Rien ne m’excite plus que de m’incruster devant un média dont je ne parle pas le langage, avec ses références et ses codes, que je mets du temps à maîtriser (ou pas). Avec Fond de caisse, je suis servi. Avec ses pseudos imagés, ses entretiens au coin du feu, ses fausses petites annonces, sa rubrique Cap ou pas cap (ma préférée), le fanzine, aux couleurs chatoyantes, m’a fait pénétrer un monde étrange avec des textes pleins d’humour et des groupes aux noms de société secrètes (plutôt celles qu’on découvrirait dans un téléfilm de Franju) : Golem Mécanique, Terrine, Begayer… Mais point de folie littéraire, Fond de caisse évoque scènes et musiciens de ce sous-sol qui irrigue le territoire, de squats en salles autogérées, et d’où émergent régulièrement de fortes têtes qui prennent un peu de lumière au mainstream : électroniques détournées, folklore renaissant, chansons de traverse, à fond ici, à fond maintenant, à fond la caisse.

Fond de Caisse
Fond de Caisse

Ce que j’aime, c’est que quand je lis FDC, je ne comprends pas grand chose, l’écriture est très référencée, avec beaucoup d’humour, avec plein de noms cryptés, on dirait le bulletin d’une société secrète, qui êtes-vous et d’où venez-vous?

Yan : Nous nous sommes rencontrés au fil des concerts donnés dans les salles indépendantes de Lyon et sa banlieue. Petit à petit, on a appris les codes de ce microcosme qu’est la scène noise expé, ne serait-ce que pour se dire bonjour. Personnellement, j’estime qu’il faut deux ans pour se sentir faire partie de cette “secte”. J’ai rencontré Bouche de Momie à Grrrnd Zero, un soir de pluie, il venait de jouer, avec Anahuac, leur projet Insiden au Croiseur. J’ai rencontré Antoine sur Fanzine Camping, un festival de micro éditions adressé aux enfants.

Anahuac : Le côté référencé et crypté, ce n’était pas du tout voulu en fait ! Il faudrait peut-être qu’on pense à faire des notes de bas de page à l’avenir. En tout cas, j’imagine qu’on baigne tellement dans ce microcosme qu’on ne se rend plus compte de ce côté obscur. Et même si ça ressemble encore trop à un fanzine de l’entre soi, on aimerait pouvoir fédérer et rendre plus visibles toutes ces références.

Fond de Caisse
Fond de Caisse

Combien êtes-vous à rédiger pour FDC? Comment envisagez-vous l’écriture sur la musique, les interviews ?

Bouche de Momie : Là, on est encore un très petit nombre mais on espère être nombreux à écrire, d’ailleurs on espère recevoir de plus en plus d’articles, bien qu’on s’octroie le privilège de valider ou non tel texte. Alors dès maintenant, envoyez-nous vos chefs-d’oeuvre à fond2caisse@riseup.net !

Anahuac : Concernant l’écriture, ce n’est pas vraiment réfléchi, on commence à peine à se poser des questions !

Bouche de Momie : En fait, pour moi qui ne suis absolument pas journaliste, j’envisage l’écriture de ce fanzine comme un moyen de donner la parole à des artistes qui me semblent intéressants, mais qui ne s’expriment que trop peu dans les médias, même les webzines internet.

Anahuac : On a une volonté d’archivage, de garder une trace. Par exemple, écrire ce fanzine, c’est aussi parce qu’on trouve que certains artistes ont développé en concert une esthétique, des techniques qui sont difficilement transposables sur disque. Alors les interviewer, ou écrire sur eux, c’est figer une partie de cette “science” qui disparaîtra avec le musicien. C’est un peu le cas par exemple pour Guillhem’All qui est interviewé dans le numéro 2.

Qu’est-ce qui a dicté votre choix du papier, des couleurs et de la technique de reproduction utilisés, et quels sont les moyens de diffusion que vous utilisez pour distribuer votre journal ? Avec quel outil travaillez-vous la mise en page?

Psycho Disco
Psycho Disco #4

Yan : Je crois que Anahuac avait dans ses toilettes un numéro de ce magnifique fanzine punk, Psychodisco, et c’était clairement une question d’objet dès le départ, de fanzine à l’ancienne, avec le même rapport à l’objet. On voulait que FDC soit un fanzine qu’on trouve sur les stands de merch, et la question de la diffusion était résolue d’avance, car presque chaque membre de l’équipe joue dans plusieurs groupes, qui tournent souvent en France, et dans les pays limitrophes. Nous imprimons en risographie chez Toner Toner, un petit atelier situé dans les locaux de Grrrnd Zero, la plus grosse structure indé et underground du coin. C’est autant une réponse au coût qu’à des questions esthétiques. Dans FDC, il n’y a grosso-modo qu’un passage de couleur par double page, alors on a choisi d’alterner les couleurs, simplement parce que c’était plus fun. Enfin, en vérité, en tant que graphiste, j’ai essayé de déjouer la tonalité parfois pointue des articles de ce premier numéro par une esthétique la plus pop possible, et pour un coût le moins cher possible.

Fond de Caisse
Fond de Caisse

Dans votre premier numéro, il y a une interview de Golem Mécanique qui a soudainement accédé à des médias mainstream suite à ses premières parties de sunn o))). Quel est votre rapport à ces passages entre l’underground et le mainstream, et où vous situez-vous dans cette géographie des médias?

Bouche de Momie : On est clairement du coté indé, comme on est très souvent déçus des médias mainstream. On choisit donc des artistes qu’on aime, qu’on côtoie assez souvent sur les routes et qui sont absents de ces fameux médias mainstream, comme Trax ou Les Inrocks, pour ne citer qu’eux. Après, si des artistes amis ont un coup de projecteur providentiel, des tournées dans des SMAC, tant mieux pour eux, on ne va pas les traiter de social-traîtres ! Personnellement en tant que musicien, je fait constamment l’aller-retour entre ces mondes. Je sais bien là où est mon cœur, mais il faut parfois savoir aussi trouver un public différent malgré la froideur des lieux institutionnels. En vérité, j’ai la naïveté, ou la prétention, de croire que je pourrais rallier à ma cause un nouveau public et le faire venir dans des lieux plus chouettes.

Quelles sont vos propres façons de vous informer, avez-vous des sites ou des publications fétiches? Y-a-t’il des choses qui vous ont influencé pour la création de FDC?

Yan : Autant l’envie de faire ce fanzine doit énormément à ce qu’a pu produire la scène punk, mais esthétiquement on a quand même essayé de sortir des standards parce qu’il y a quand même une esthétique « classique » dans ce genre d’ouvrages : la machine à écrire, les collages, le noir et blanc, le texte écrit tout petit… On voulait autre chose.

Audimat
Audimat #11

Bouche de Momie : Ça fait des années que je suis abonné à Revue & Corrigée que j’adore toujours lire, même si je regrette le peu d’ouverture aux musiques en dehors de la sphère “impro libre”. Je sais bien qu’on en est encore très loin mais le côté pointu de R&C m’a pas mal inspiré, j’ai découvert pleins de super trucs en le lisant, pas seulement de la musique mais aussi des réflexions sur la musique. Il y a aussi le magazine Audimat dont je dévore les articles à chaque sorties : ils ont réussi à parler de façon fine et réfléchie sur des sujets tels que l’héritage musical de Céline Dion, d’obscures sous genres de musique pop de rue, ou encore sur des presets de logiciels de musique. Bravo à eux ! Je viens aussi du monde des forums musicaux de la fin des années 2000 (Infratunes/dMute, Cannibal Caniche) et il y avait toujours un membre pour parler d’une micro scène finlandaise d’electronica ou à faire des déclarations d’amours enflammées sur certains disques face à trente autres forumeurs enragés.

Anahuac : Je lis rarement de presse musicale de mon côté. Comme les autres, je crois, je me tiens au courant surtout par les copains, les gens rencontré en tournée, sur les petits concerts aux stands de merch quand on s’échange des cassettes avec les orgas qui ont aussi souvent des labels, ou les autres musiciens qu’on croise.

Fond de Caisse
Fond de Caisse

D’où vient ce nom d’ailleurs ?

Yan : La première réunion bouclée, le nom était choisi après un brainstorming de une minute. Le fond de caisse, c’est l’argent que tu dois penser à emmener quand tu organises un concert, pour rendre la monnaie aux gens. Mais un an après, le numéro un étant quasiment terminé, personnellement je n’étais plus très sûr de ce nom-là. Je le trouvais dur, froid, pas très joyeux ; Fond de Caisse, ça faisait penser au fond du trou, ou alors à des histoires de thunes, un peu glauque le nom, quoi. Mais au bar de Grrrnd Zero, quelques jours avant le bouclage, en discutant avec l’équipe et des intéressés, je me suis dit qu’une écriture à contre-emploi suffirait à détourner ce qui me gênait.

Bouche de Momie : Oui, ce fond de caisse, c’est donc ce truc à mettre de sa poche si tu veux que les entrées au concert fonctionnent mieux, sachant qu’après tu seras remboursé, c’est donc une sorte de facilitateur, un peu comme l’investissement personnel mis dans ce fanzine, je suis sûr que cela produira quelque chose de chouette en retour.

Avez-vous un registre spécifique de musiques qui vous intéressent et que vous avez envie de relayer via FDC?

Bouche de Momie : Evidemment, il y a des musiques qui nous plaisent plus chacun, moi je suis plutôt à fond sur les musiques électroniques en général par exemple. Pourtant, nous voulons vraiment parler de tous les artistes et toutes les musiques qui nous plaisent, sans barrières de code. Dans FDC, mon ambition est qu’on pourra y lire des choses variées sur, par exemple, du dungeon synth, du rock expé, de la musique électroacoustique jouée live, de la pop lo-fi ou encore sur le courant néo traditionnel auvergnat.

Avez-vous prévu un second numéro et pouvez-vous nous évoquer son sommaire?

Anahuac : Nous espérons faire paraître le prochain numéro en juillet ou septembre ! Dans le désordre, il y aura deux interviews, une du performeur EBM Unas, l’autre du platiniste Guilhem’all. Mais aussi trois chroniques de disques, une sur l’album de Zizi, l’autre sur le dernier Portron Portron Lopez et la troisième sur un album de Ventre de Biche. Un portrait de Regis Turner, une recette pour faire de la musique acousmatique avec des voitures plus un rond-point, et des anecdotes de concerts foireux.

Quels sont les musiques actuelles qui font trémousser la rédaction de FDC en ce moment?

Bouche de Momie : Si par musique actuelle, tu veux dire qui passe à la radio, j’aime bien la chanson Pookie d’Aya Nakamura, y’a un son puissant et minimal très prenant tandis que le flow avec ses paroles abstraites marche super bien. En plus c’est assez classe, cette sorte de jeu de delay et reverb long sur certaines passages de son chant, ça groove bien.

J’aime aussi Possédé de Djadja & Dinaz, l’ambiance est triste, c’est assez touchant avec ces chants autotunés un peu lo-fi en arrière. Dommage, cette manie du sample de guitare manouche dessus par contre, beurk. Sinon j’ai pas mal écouté le nouveau tube de Sophie, Immaterial. Certainement le dernier bon morceau de PC Musique avant la fin du genre, tous les codes y sont réunis et magnifiés.

Anahuac : Le dernier Piotr Kurek est bien chouette. Et je bloque pas mal sur Christophe et l’album La Question de Françoise Hardy en ce moment.

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