Génération italo

L’été italo

La Dolce vita - Italie, 2019 / Photo : David Rimokh
La Dolce vita – Italie, 2019 / Photo : David Rimokh

David Blot, Fabrizio Mammarella, Patrick Thevenin et Michel Amato aka The Hacker. Comme certains d’entre nous, ils ont grandi et fait leur éducation musicale en direct à la radio ou à la télévision d’alors, sur la RAI ou par le biais du Top 50 et son générique Dream, signé P. Lion. La petite musique synthétique qui triomphait alors dans les hit parades posait les fondations d’une révolution esthétique électronique plus underground. Nos témoins rembobinent leurs mémoires avec plaisir et nostalgie pour revivre cette fondatrice et première rencontre avec ce genre populaire, mais finalement plus avant-gardiste que les tubes de l’été qui en firent toute la renommée ne le laissaient transparaître, finissant par transfigurer les charts internationaux et préfigurant la musique électronique moderne : l’italo disco.

David Blot

David Blot
David Blot

Le fondateur des soirées Respect qui ont révélé tout une génération de producteurs parisiens (mais pas que), ci-devant grand théoricien nostalgique du clubbing avec la magnifique BD Le Chant De La Machine (la version anglaise arrive début octobre, préfacée par les Daft Punk), et Yesterday ( à lire ici), fiction graphique au cœur de l’actualité de l’été, poursuit son exploration des nouveautés musicales en animant l’émission quotidienne Nova Club sur la radio Nova.

« Ma définition de l’italo disco est simple : c’est italien et c’est disco. Mais en vrai, les sons de 82-84 que j’ai découvert à cette période seraient plus de l’italo électro. Kasso est entre les deux, les autres après sont totalement électro. On passe au tout machine vers 82, c’est radical. Mais il y a plein de vrai italo disco avant, dont le groupe Change, le Chic italien, qui est l’exemple le plus connu. Le truc important à comprendre, c’est qu’à leur sortie, ces disques n’étaient pas appelés ainsi, ils n’étaient pas appelés tout court d’ailleurs, aucun animateur radio ne disait que ça venait d’Italie : c’était juste des disques de pop comme d’autres. D’autant plus que les Italiens de cette italo très commerciale transformaient leurs noms à l’américaine : Gary Low, Den Harrow, Ryan Paris et trois tonnes d’autres, comme 20 ans plutôt Sergio Leone se faisait appeler Bob Robertson sur ses premières productions. Bref, le terme italo disco pensé comme un genre c’est arrivé bien après. Il n’y avait pas un bac italo disco à la Fnac, hein ! »

« Kasso, Walkman ; Gazebo, Masterpiece et Gary Low You’re A Danger sont ma Sainte Trinité, ainsi que et l’ordre respectif et chronologique dans lesquels j’ai découvert ces disques à leurs sorties. Période qui correspond alors à ma découverte de la musique en général, donc j’écoute alors aussi plein d’autres choses mais ce que je ne sais pas encore que l’Italie occupe déjà une belle place. S’il y a bien un point commun à tous ces artistes, c’est qu’on ne savait rien sur eux, on ne savait même pas qu’ils étaient italiens ! Et puis de toute façon, les types importants, c’étaient les producteurs, mais personne n’en parlait, évidemment. Que Kasso ce soit Goblin, je ne l’ai su que bien après. D’ailleurs à l’époque, je ne connaissais pas Goblin, donc ça ne m’aurait pas spécialement parlé. Bref, il n’y aucun héros italo – bon à part Moroder, allez – c’est aussi peut être le truc plaisant, qui quelque part préfigure l’anonymat de la house et de la techno. Mais un anonymat sous couvert d’une pochette avec une pop star factice et pseudo américaine, c’est assez malin quand même, et en plus ça se vendait par caisses entières, même si les mecs en studio n’en voyaient pas souvent la couleur. A mon avis les liens de l’italo disco avec la mafia, ce doit être un bon sujet d’investigation. »

Ton top 3 italo ?

« Kasso Walkman, Gazebo Masterpiece et Gary Low You’re A DangerUn peu mono maniaque, hein. »

Un exemple chanté en francais ?

« Pas vraiment, même si c’était partout, de Desireless à Indochine, d’Images à Partenaire Particulier. Disons que toutes les productions de Romano Musumarra (Stéphanie de Monaco, Elsa, Jeanne Mas) ont un côté italo assez évident – bon en même temps, Musumarra est italien, ok… A noter qu’à l’époque la mode du faux américain sévissait aussi en France (F.R. David, David Christie = Robert Fitoussi et Jacques Pépino), c’était comme une internationale de fausses stars européennes. Mais dans tous les cas, peu de ces trucs français ne sont à la hauteur des prods italiennes, l’italo en VF était bien trop contaminée par la variété française RTL / Drucker pour être honnête. Du bon côté du manche, en France on a Jacno, Taxi Girl, Chamfort avec Manureva, ils ont déjà ce côté italo mais sans avoir été influencés directement par ça. Mais par Moroder oui forcément, comme tout le monde. Rectangle de Jacno c’est déjà une perle italo avec un côté plus rock, rough. Par contre chez nous, on ne faisait pas trop de versions 12inch club comme les Italiens, c’est dommage. En France, on n’avait pas des clubs par centaines comme à Rimini, qu’il fallait alimenter en nouveautés. »

Le morceau le plus guilty pleasure à tes oreilles ?

« Mais enfin toute l’italo est guilty ! Mettons plutôt en avant ce qui n’est pas guilty dans l’italo disco : des productions savantes avant-gardistes avec des versions dub d’une dizaine de minutes qui se permettaient tout. On a ici la connexion avec la house de Chicago où dans les clubs les plus underground étaient joués ces machins improbables. »

Quelle / quel serait la meilleur héritière / descendant de l’italo disco selon toi ?

« Honnêtement je n’en verrais pas l’intérêt. L’italo disco a tout contaminé, en sous-main, dès ses débuts, de manière jamais vraiment avoué, et ça n’a jamais disparu depuis. Disons, pour conclure avec une référence très Section 26, et Barney lui-même ne s’en cache pas : Bizarre Love Triangle de New Order n’aurait jamais sonné pareil sans l’italo disco. Depuis c’est toujours là. »

Fabrizio Mammarella

Fabrizio Mammarella
Fabrizio Mammarella

Le Dj et producteur de Bologne est infatigable, que ce soit en solitaire ou accompagné des meilleurs (Black Spuma en duo avec Lauer), et gère l’existence de plusieurs labels qui œuvrent pour la gloire des musiques dansantes italiennes, d’aujourd’hui et de demain, sans en oublier d’honorer les légataires de l’italo disco et ces fondateurs originaux.

« Je crois bien que mes premiers souvenirs proviennent de la musique qui était jouée à la télévision italienne au début des années 80, comme par exemple le morceau Only Music Survives d’Alba Parietti. C’était tout simplement la musique pop dansante, que personne n’appelait italo disco. Elle contenait pourtant tous les éléments caractéristiques du genre : des synthétiseurs et des boîtes à rythmes sur des mélodies mélancoliques, le tout combiné à un chant en Anglais à l’accent italien très prononcé. Tous ces éléments cité, je le répète, définissent l’italo disco d’un point de vue marketing, histoire de catégoriser et donner un nom à ce genre qui se vendait surtout hors de l’Italie. Mais l’italo est avant tout pour moi la musique de club made in Italy, pas uniquement ce type de musique produite de la fin des années 70 à la fin des années 80. On produit de la dance music en Italie encore aujourd’hui, et celle-ci continue d’être jouée partout dans le monde, et c’est ce courant que je mets en valeur au travers de mes deux labels Slow Motion et Wrong Era. »

Quelle est ton héroïne italo / ton héros italo ?

« Salvatore Cusato, alias Casco. »

Ton top 3 italo ?

Casco Cybernetic Love

Charlie Spacer Woman

Gaznevada Special Agent Man (Female Version) 

Un exemple chanté en francais ?

Space Just Blue (1978)

Le morceau le plus guilty pleasure à tes oreilles ?

« Sabrina bien évidemment ! »

Quelle / quel serait la meilleur héritière / descendant de l’italo disco selon toi ?

« Franz Scala, qui d’autre ? »

Patrick Thévenin

Patrick Thévenin - Photo : Marco Dos Santos
Patrick Thévenin – Photo : Marco Dos Santos

S’il œuvra longtemps dans la rédaction de prestigieux magazines, Patrick Thévenin écrit désormais à son compte, de façon plus libérée. Une manière sans doute de mettre sa perspicacité et son érudition au service de sujets moins formatés, en adéquation avec ses goûts et ses expériences hétérogènes.

« J’étais fan de new wave, de cold wave et d’indus et l’italo représentait un courant que j’écoutais un peu en cachette, comme le funk ou le disco, parce que ça ne se faisait pas trop, lors de mon adolescence dans les années 80. C’était à l’époque considéré comme de la soupe par les merdeux branchés qu’on était. Mais quelle erreur ! L’italo est un truc un peu facile, mais difficile finalement. C’est bourré de presets de synthés à la mode d’alors, de mélodies cheap et populaires, d’expérimentations électro (et oui), d’accents au couteau, de fringues non mais arrête, mais qui tout rassemblé donne quelque chose de l’ordre de l’ovni musical, à la fois mainstream et hyper pointu. Et surtout, je l’observe, qui passe tranquillement les décennies et les modes musicales pour être toujours excessivement touchant dans ses maladresses. »

Quelle est ton héroïne italo / ton héros italo ?

« J’ai une immense adoration (coupable) pour Gary Low. »

Ton top 3 italo ?

Ivan Fotonovela

Taffy I Love My Radio

Gary Low I Want You

Un exemple chanté en francais ?

Corynne Charby Boule De Flipper

Stéphanie De Monaco Flash

Jeanne Mas Johnny Johnny (English Version)

Le morceau le plus guilty pleasure à tes oreilles ?

Sandy Marton People From Ibiza

Quelle / quel serait la meilleur héritière / descendant de l’italo disco selon toi ?

« The Hacker, s’il se lâchait vraiment, pourrait faire des merveilles car il a tout compris des subtilités du genre. »

 

The Hacker

Michel Amato / The Hacker
Michel Amato / The Hacker

Après des débuts remarqués dans le hardcore, il a été l’homme de l’ombre du duo Miss Kittin & The Hacker, loué par tous comme les inventeurs de l’electroclash, harmonie synthétique de new wave et de techno. Sa discographie en solitaire est pléthorique, et Michel Amato poursuit sa carrière sur Zone et les plus prestigieux labels underground, le coeur écarté entre l’efficacité techno, la sensibilité italo et la furie électro, au gré de ses incarnations et envies.

« Ma mère m’avait acheté une compilation quand j’avais 10 ans et qui s’intitulait Summer Hits Of 82. Il y avait dessus quelques morceaux de Bobby « O » (plus hi-NRG qu’italo, mais bref, passons) et surtout, en fin de face B, Dirty Talk de Klein & MBO. Ce morceau très minimal, voire cheap, m’avait intrigué car il sortait vraiment du lot. Étant de Grenoble où l’on retrouvait une grosse émigration italienne, il y avait aussi dans les années 80 pas mal de radios locales qui diffusaient de l’italo et ça m’a marqué, c’est sûr. L’italo est à la fois euphorique et nostalgique car tous ces producteurs italiens essayaient de copier la synth-pop anglaise, mais à leur façon, avec ce côté dolce vita, sans la grisaille de Manchester ou de Sheffield. »

Quelle est ton héroïne italo / ton héros italo ?

« Probablement Casco, car tout ce qu’il a fait est génial, et aussi Alexander Robotnick. Mais quel visionnaire ! »

Ton top 3 italo ?

My Mine Hypnotic Tango

Mr Flagio Take A Chance

Change The End

Un exemple chanté en francais ?

« Corynne Charby Boule De Flipper, haha, écrit par Christophe quand même ! »

Le morceau le plus guilty pleasure à tes oreilles ?

« Melody de Plustwo, c’est presque de la variété, mais j’adore. En fait, l’italo disco dans sa totalité est un guilty pleasure. »

Quelle / quel serait la meilleur héritière / descendant de l’italo disco selon toi ?

« I-f a joué un rôle de passeur très important car il a fait redécouvrir l’italo à toute une nouvelle génération, avec son mix légendaire Mixed Up In The Hague, la meilleure introduction possible à l’italo. »

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