Italian Night Fever

L’été italo

La Dolce vita - Italie, 2019 / Photo : David Rimokh
La Dolce vita – Italie, 2019 / Photo : David Rimokh

Je n’ai pas attrapé la fièvre du disco italien  : c’est lui qui est venu à moi, m’a pris dans ses grands bras poilus et roulé un palot qui me fait encore saliver. Puis il m’a fait asseoir sur le siège arrière de sa vespa pour m’emmener le long des calanques regarder les sardines qui scintillent au clair de lune. J’étais un adolescent aux cheveux gras et boutonneux, et j’allais trouver dans les rangs du Top 50 la bande-son idéale de mes rêveries en solitaire.

Remember that piano / so delightful unusual / that classic sensation / of sentimental confusion / used to say / I like Chopin / Love me now and again

Je n’ai jamais écouté Chopin, mais j’ai par contre beaucoup usé Gazebo, ce nouveau romantique au cœur d’artichaut pour jour de pluie à regarder par la vitre s’envoler les derniers soupçons d’un été passé à boire de l’Orangina. Ma mère connaissait aussi le morceau, et cet approbation familiale ne faisait que confirmer la pertinence de cet achat effectué au rayon disques du supermarché Auchan situé à la sortie Avignon-Nord. Comme avec les glaces Gelato, il y a du dégoulinant chez Gazebo, du pathétique à la petite semaine, du Patrick Juvet en manque de Dabadie. Mais j’aime bien ça. Le disco synthétique plaît aux jeunes gens sages, et peu importe si Gazebo, personne ne sait qui sait, si son deuxième tube (Lunatic) ressemble comme deux gouttes d’eau au premier et si personne, mais alors personne, ne s’inquiète de savoir ce qu’il est devenu. De son i-book, il adresse à son fan-club russe un message de félicitations reproduit sur la homepage du site gazebo.ru

Valérie Dore joue aussi la carte du mystère et du flou artistique à la David Hamilton. Mais est-ce seulement elle fixée dans la pâleur d’un été sous un grand chapeau ? Acheter The Night, pour un garçon, c’est une sensation à la fois bucolique et doucement érotique : toute proportion gardée, je pense que le première goutte d’Eau Jeune sur la peau satinée d’une pré-adolescente doit déclencher un séisme à peu près comparable. Valérie dort, mais la garde veille : toute une armée d’Annabelle Mouloudji était tapie dans l’ombre, prête à lui rivaliser son titre convoité de reine des émois flous. Celui-là, je ne sais plus ou je l’achète. Je l’use aussi, le regard mouillé. Quand l’automne arrive, Valérie annonce la couleur avec Get Closer, mais je décline son invitation : un nuage de Sintony n’aura pas suffit à dissimuler son manque d’inspiration. Sur la pochette, elle bascule la tête, dans une impression de félicité qui n’abuse qu’elle-même. Le megamix n’est pas loin.

Avec ses yeux maquillés et sa lèvre inférieure tombante, Den Harrow entendait bien détrôner George Michael dans le coeur des amateurs de poitrines velues. C’est couvert d’un flight jacket doublé en vraie peau de zob qu’il lance au monde cet avertissement : (I wanna be) a Bad Boy.  Et même si Marc Toesca le charge un peu, il récidive quelques mois plus tard avec Future Brain : entre temps, il a tombé le flight pour un marcel immaculé. Future Brain you make me wonder /Is it sane to make a sample of my love : avec ses poings, Den (de son vrai nom Manuel Stefano Carry) dénonçait les dérives de la bioéthique et du clonage humain. La science restera sourde à ses avertissements alors que plusieurs marques de laque se disputent ses faveurs. En 1988, il publie son troisième album, également lourd de sens : Lies. Et pour cause, c’est la première fois qu’il chante lui-même sur ses disques, les précédents ayant été doublés par un certain Tom Hooker.

Il aura fallu attendre 2001 et la sagacité d’un certain Zeljiko Vujkovic pour lever le voile sur un mystère des années 80 que même Pierre Bellemare n’avait réussi à expliquer : pourquoi P. Lion ? La réponse vint de la bouche de l’intéressé : « My full name is Pietro Paolo Pelandi and the lion is the symbol of my family ». La disco italienne comptait donc parmi ses rangs un aristocrate plus porté sur la ritournelle synthétique cheap que sur la musique de chambre. Et si l’homme connut la consécration quand le Top 50 s’empara de son hymne Happy Children pour en faire son générique (l’instrumental Dreams servant à illustrer le classement), il peina à faire de Springtime l’album de toute une génération moulée en Lacoste. On lui doit cependant d’avoir lancé ce look école-de-commerce grâce auquel Partenaire Particulier put chanter les mérites des tournantes sans que Louis Pauwels s’en émeuve.

Depuis que j’ai acheté le 45 tours Hey Hey Guy de Ken Laszlo, je me suis toujours demandé  pourquoi il portait la mention « version originale » : quel orgueilleux producteur aurait tenté d’imiter son timbre équivoque dont toute une lignée, de Amanda Lear à Neil Tennant, s’inspire encore ? A cette heure-ci, je cherche encore ses challengers potentiels, ceux qui ne seraient pas pris Tonight, son second hit, dans les dents, et qui n’auraient jamais rendu les armes depuis, multipliant les identités (Ric Fellini, Danny Keith, DJ Nrg, Coy Mc Coy, KL Jones…), osant les reprises les plus insensées (Video Killed the Radio Stars, You’re My Heart, You’re My Soul), séduisant les marchés les plus difficiles (Asie, Venezuela). Et même si personne ne songe vraisemblablement plus à l’appeler Giani Coraini, Ken reste LE stakhanoviste ignoré de la italian touch. Pas étonnant que ce soit lui qui ait suscité le plus de pages sur internet : des sites allemands, polonais ou chinois tentent de recenser son exubérante discographie.

C’est mon premier souvenir de voyage linguistique : arrivé en Allemagne, la famille d’accueil est venue m’attendre au car, et la mère vient à peine d’ouvrir le coffre de la voiture pour y ranger mon sac à dos que j’aperçois, là, posé à même la moquette de la Volkswagen, Comanchero de Moon Ray. Le son de la variété italienne déferlait sur l’Europe, mais en bon indien elle chevauchait masquée : Raggio di Luna avait en effet pris le soin de se rebaptiser avant de franchir les Pyrénées, semant la confusion sur son passage. Et ravissait au galop une métisse allemande qui promettait de rapporter au grand chef son tomahawk. Mais DJ Martinelli aurait dû savoir qu’on ne profane pas le l’héritage des peaux-rouges sans encourir leur terrible malédiction : on raconte qu’ils commencèrent par lui arracher les ongles avec les dents et découper des lanières de peau dans le dos, quand notre ami eut une idée qui lui sauvera la vie. Un orage violent se préparant, le supplicié parla suffisamment la langue des tortionnaires pour les convaincre que la colère du ciel est une intervention divine en sa faveur. Tant et si bien qu’ils le détachèrent et l’invitèrent à partager leur festin. Le plat principal est devenu l’invité d’honneur. Depuis, il serait devenu végétarien.

J’ai gardé tous mes 45 tours de disco italienne. Je complète ma collection chaque fois que l’occasion de présente au hasard d’un vide-greniers printanier et d’une foire-à-tout : un Finzy Contini que je ne connaissais pas, un Silver Pozzoli en version longue, un Ryan Paris à peine corné. Cette écurie siglée Baby Records (et distribuée à l’époque par Carrère), c’est ma Cinecittà à moi, mon paradis perdu. Je laisse toujours les clés en évidence pour ne pas avoir à les chercher : une envie de Gazebo, ça peut me prendre à n’importe quel moment. D’ailleurs, rien qu’à en parler, je sens déjà le Chopin qui me démange.

Rainy Days / never say goodbye to desire / when we are together / Rainy days growing in your eyes / Tell me where’s my way…

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