#45 : The Soup Dragons, I’m Free (Big Life, 1990)

I’m Free d’attendre encore un peu.

Au soir du premier jour de confinement, alors que le reste de la famille s’adonnait au visionnage d’une série (pas ma came), je m’étais retiré dans mon antre-bureau, non sans avoir répondu favorablement à cette proposition de dernière tournée lancée par le consul du bouquin de Malcolm Lowry. Voilà pour le début de l’histoire, et bien que j’en ai déjà posé les bases dans le #1, je ne vois pas pourquoi je m’interdirais d’y revenir à nouveau puisqu’il est dit que la boucle doit être bouclée – je suis persuadé que cette phrase aurait pu tenir en deux fois moins de mots mais on ne se refait pas, disait le scorpion à la grenouille.
C’est donc en tombant inopinément sur un 45 tours du label The Compact Organization que germa cette idée dans mon cerveau passablement imbibé. Après m’être déhanché sur quelques pépites de northern soul pour célébrer ça – une idée c’est un peu une fête, on n’en a pas à longueur de journée, chantait jadis l’ami Prudence – je décidais de laisser reposer, rôdé à voir mes lubies du soir frappées d’inanité le lendemain matin, et bien en peine, les pauvres, de rivaliser avec ma gueule de bois. Bien que moins altière et effervescente – ça c’était plutôt l’Alka-Selzer -, au matin l’idée était toujours vaillante. Timidement proposée mais validée en un tournemain par Thomas, nous voilà partis sur cette série. Se pose la question du nombre. Quinze jours ? Trente ? On n’a pas idée de la durée du truc, eux non plus d’ailleurs, personne n’est en mesure de se prononcer. Un rien fanfaron, je lance quarante-cinq – 45 tours, 45 jours, ça fait sens mais je n’y crois pas une seconde, on sera libéré bien avant.
Je dresse une short list d’une douzaine de disques, dont près de la moitié seront abandonnés au bord du chemin. Ghost Town des Specials, Dear Prudence reprise par Siouxsie and The Banshees, Adieu Paris des Fils de joie, Livin’ Underground selon Kid Pharaon, Waiting For A Change espéré par Phil Wilson, tous tombés au champ d’honneur. Et puis il y a le petit malin qui présente le double avantage de proclamer la libération attendue tout en nous offrant le virus pleine balle sur sa pochette. Celui-là, il sera parfait pour la fin, et tant pis si la chanson ne passe plus la rampe depuis Mathusalem.

Au bout d’une semaine, le principe de réalité me colle une bourrade : mon garçon, jamais tu ne tiendras 45 jours à ce rythme quotidien. Pascal B. m’envoie un texto rigolard évoquant le choix de la chronique d’albums 33 rpm comme nettement plus judicieux et raisonnable. On verra bien.
J’écris tôt le matin, à jeun et quand la maison dort encore. Quelques mots, quelques phrases ont sédimenté durant le sommeil, ou au creux de cette phase cotonneuse du lent réveil. Je sprinte et bâcle quand les kids débarquent en pyjama floqué who gives a fuck ?. Je relis en fin de journée, je jette un peu mais pas tant que ça. Surtout j’y prends un plaisir totalement inattendu. Je me souviens d’une saison, en 2000 ou 2001, alors que je pigeais pour un hebdomadaire qui est un bon indicateur de déliquescence, où écrire était devenu pesant, presque douloureux. Ici, au contraire, dans cet espace royal où tout est permis, voire bienvenu, sans l’ombre d’un calibrage arbitraire, je retrouve un élan qui s’était corrodé avec les années, et découvre une vertu inédite, un ennemi qui aurait soudain changé de camp : la discipline.
A deux ou trois reprises je manque flancher. J’écris d’un œil pendant près d’une semaine, suite à un stupide accident domestique. Et puis le terrain est quand même passablement miné. A l’épidémie collective qui plane mais n’entre pas vient se superposer un autre mal, une saloperie qui prolifère dans une sphère plus intime. A une dizaine de jours du terme, je menace d’envoyer tout promener. That Joke isn’t funny anymore. Avant de réaliser, C’mon Kids, à quel point l’écriture, quand elle admet puis revendique une porosité avec le réel, agit comme un rempart étanche à tout type d’infection ou de chagrin.

Nous y voilà. Le dernier post. Les Soup Dragons pour éteindre la flamme. Pour la liberté recouvrée, prière de patienter, le ministre est avec le concierge, dans l’escalier.
Faut s’y coller. Deux mots sur le disque du jour.
Les Soupies, comme on les appelait dans l’excellent fanzine Mea Culpa où à leur tour les Shop Assistants devenaient les Shoppies et Pop Will Eat Itself les Poppies – et on regrette encore qu’ils n’aient pas daigné nous torcher une cover grebo de Non non rien n’a changé – les Soup Dragons, donc, auront fait illusion trois singles durant. Leur deuxième, Whole Wide World / I Know Everything, sur Subway Organization, était troussé en tout juste trois minutes les deux morceaux et on se demandait quel genre de substance avalait à peine cuillerée le gamin de la pochette pour que ça caracole ainsi. Du Buzzcocks survitaminé, selon la formule délivrée par je ne sais qui, et l’espace d’un instant certains ont même émis l’idée que c’était MIEUX que les Buzzcocks. On s’est vite rendu à la raison. Hang-Ten ! a continué à faire la blague, dans une veine plus surf pop, jusqu’à ce qu’on en ait marre d’avoir du sable dans les chaussures. Sur les maxi singles suivants, on se serait cru dans Pif le Chien. Il fallait placer la tête de lecture à la fin du sillon, près de l’étiquette, et le disque se lisait en sens inverse. Ou encore, sur Soft As Your face, tu posais le stylet au début du disque et tu avais une chance sur deux d’entendre un titre ou un autre. Double-Groove Record qu’ils appelaient ça, ces aventuriers du sillon – mettre la charrue avant les bœufs eut été plus approprié. A défaut de chansons, t’avais désormais des gadgets. Fini les Soupies, bonjour les Pifises – pour ceux qui avaient 5 ans en avril 70.
Alors qu’à Manchester, Liverpool, et bientôt partout ailleurs, la jeunesse découvrent une nouvelle variété de Smarties pour nager dans la béatitude et accessoirement dans ses pantalons baggy, nos marchands de soupe écossais flairent l’idée de génie. Ils jettent leur dévolu sur un titre peu connu des Rolling Stones, remisé à la toute fin de Out Of Our Heads, le remaquille comme une voiture volée avec le beat du jour, en prenant soin d’y ajouter de clinquantes jantes Dance Hall tombées du camion de Junior Reid. Non seulement I’m Free cartonne, mais ni les Stones ni leurs avocats ne lèvent le petit doigt. On les connaitra moins conciliants avec The Verve quelques années plus tard.

Je fais mine de cracher dans la soupe ou d’avoir la dent dure avec les Dragons. Mais reconnaissons qu’après quelques années passées à l’ombre suite à leur forfait, ils se sont pour le moins bien réinsérés. Paul Quinn a rejoint Teenage Fanclub (les Teenies ?) en 94, Jim McCulloch est venu prêter main forte à Joe McAlinden au sein de Superstar (mais quatre ans après cette merveille qu’est Greatest Hits Vol. One qu’il faudra bien un jour rééditer si on ne veut pas que la jeune génération clapote idiote) et surtout Sushil K. Dade s’est réincarné en Future Pilot Aka, qu’il est indispensable de repêcher des Tiny waves, mighty sea (Etienne, tu t’en charges ?).

Bon, fin de partie, Samuel.
Mais ‘Cause I’m free do do what I want any old time, vous croyez sincèrement que je vais vous laisser comme ça ? Sans éprouver le manque ? Sans taper à deux doigts, le clavier remisé, à la recherche de la veine au creux du bras ?
On est toujours confiné, que je sache ?
Donc rien ne m’interdit de revenir vous visiter deux ou trois fois d’ici le 11 mai ? Ou même ensuite, pour des 45 tours de déconfinement ?
Je vais souffler un peu, me rendre plus disponible à la maison – home is where the heart is.
Mais je vais revenir par la fenêtre. J’ai un 45 tours des Sea Urchins qui s’impatiente.

Cette dernière est pour toi, Thomas S.
Merci.

3 réflexions sur « #45 : The Soup Dragons, I’m Free (Big Life, 1990) »

  1. tu as considérablement remonté le niveau de section de 26 , tu est la meilleur plume et de loin ,apres le 11 mai il est impératif que tu continu

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