Il y aurait un arbre généalogique à dessiner de ces descendances de garçons solitaires qui s’entourent de peu pour délivrer au monde leurs sentiments, souvent dans un geste d’apparence crue et frontale : peu de mots, peu d’instruments, peu d’espoir pour peu de musique ? Peut-être. Mais depuis le début du siècle, des fins fonds des squats de zones industrielles (Noir Boy George) aux journaux à la page (Thousand), une vague froide déboule (et tabasse tout ce qui bouge) avec une musique à leur image, qui a de quoi affoler le territoire et qui s’appuie sur quelques basiques identifiés. Des voix cabossées, vieillies avant l’âge, souvent graves, hypnotiques, qui parlent plus qu’elles ne chantent, hésitantes quand il s’agit de délivrer la mélodie / de la poésie désabusée entre mots tirés de longue lecture des gratuits, froideur du propos, horreur et adoration de l’époque dans un même bateau, parfois sertie d’humour volontaire ou pas / un instrumentarium chopé sur le Bon Coin, entre synthés réparés à l’arrache et guitares ou basses génériques (comme on dirait d’un médicament) / habits recyclés, trouvés chez Emmaüs ou à la brocante du coin, mixe des années 70, 80, 90, 00. Sans remonter à Mathusalem, j’explorerais les racines de cette jeunesse provinciale du côté des Little Rabbits quand ils osaient le Français. Dans Claude, le morceau qui ouvre le disque, j’y trouve ce même détachement, cette même nonchalance, teintée de légère arrogance, comme un Dominique A., penaud, sous acide. Dominique A., tiens, l’école du label Lithium aussi qui avait déposé Programme et Expérience avant de fermer ses portes, à l’aube des années double zéro. Ou du côté de Lescop qui avait relancé le tourniquet au début des années 2010, ou de Singes Chromé, le Mulhousien disparu récemment et qui tirait le trait évident avec les chanteurs ombrageux des années 70 et 80. C’est avec l’album magique de Thousand que cet anti-style trouvait selon moi un aboutissement inespéré l’année dernière : lâcher de noms surprenants, poésie sombre des relations, swing bancal, arrangements luxuriants, accroches mélodiques de tubes contraints… Yolande Bashing reprend le bâton de pèlerin des « agents du maussade » (cf Gonzaï) ou de « l’armée des sombres » (j’ai pas vérifié sur un moteur pour voir si c’est déjà pris, tant pis, c’est pour moi) : Les linges sales, comme sommet du disque, entêtant, avec ce chant qui bégaie de façon très belle sur des pistes de synthés qui se dérèglent et pleurent (de pleurage) comme si les instruments se dérobaient sous le chanteur, les passerelles étranges et incongrues dans Plonger Sous Marine avec rap chelou surgi de nulle part, la fête de village sous néons bleutés à hurler à l’unisson le refrain des Vivants… Comme les clés d’un club-house romantique, une amicale clandestine de la jeune condition masculine du début du siècle, en quelque sorte. Le seul boy club qui vale au final.
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