Yargo, Bodybeat (Bodybeat, 1987)

Il y a des disques achetés il y a longtemps qui vous suivent toute la vie, presque clandestinement, sans faire plus de bruit qu’ils n’en ont fait à leur sortie. On avait inventé le mot « culte » pour ce genre d’œuvre, mais à l’heure de la malle à disques géante qu’est devenu l’internet, c’est juste le mot désigné pour un truc perdu dans la masse. Pour ne pas faire de révisionnisme, Bodybeat a quand même bénéficié d’un peu de lumière, de son ¼ d’heure de gloire en France – attention, le groupe avait joué sa carte de next big thing à la maison, avec couv du NME et tout – puisqu’il est parvenu jusqu’à moi, à la Fnac de Belfort et que le groupe de Manchester a joué aux Transmusicales, a eu son entretien dans les Inrocks bimestriels (et peut-être une apparition dans Best) et a même bénéficié de passages à la télé de papa (Décibels, mon amour). Manchester, ouais, juste avant que la ville ne se transforme en Madchester, usine sous ecsta fabricant du survêt ou du jeans taille XXL, proposait déjà des choses aventureuses, on le sait, et Yargo n’en était pas la moindre. Avec son sens de la formule, JD Beauvallet résumait leur musique avec une simple addition : Joy Division + la soul.

New Musical Express du 21 novembre 1987.

Quatuor rattaché à aucune scène en apparence, le groupe avançait un funk rachitique aux confluents des musiques noires (reggae, blues, soul, jazz) excellemment limpide et dynamique, avec ce sens post punk du bruit. Réputé pour ses prestations scéniques, il était en fait issu d’un collectif dans lequel on piocherait les graines de Simply Red ou 808 State. Il était surtout porté par un chanteur pas frime à la voix déchirée, entre soulman centenaire et reggaeman halluciné (sa voix est à placer, avec moins de douceur et plus de douleur à côté de celle d’Horace Andy). Basil Clarke, c’est lui, ne tirait pas la couverture à soi  et assurait une telle intensité sur disque qu’on imagine même pas l’effet qu’il pouvait faire en public – on est d’ailleurs tellement étonné de ne pas l’avoir vu hanter les tracks de trip hop des années nonantes. Comme toutes les musiques dénuées d’effets de manche et affichant une fausse simplicité, il n’est pas si aisé de s’aventurer chez Yargo, mais dés que le sortilège fonctionne, on est piégé, pour l’éternité, donc, visiblement.

Yargo, en 1987 à Rennes / Photo : Richard Dumas (Archives des Transmusicales)

Ma clé d’entrée de Bodybeat, c’est d’abord sa pochette (noir et blanc qu’on dirait échappée de La Permission de Melvin Van Peebles et qui célèbre l’amour, le mélange, la vie), et c’est la magnifique ballade qui clôt la face A du vinyle, une mélodie déchirante, Get There, absolument inoubliable, qui me fait remettre le disque sur la platine tous les 4 mois (au moins depuis 40 ans). Et puis au gré de mes évolutions personnelles, l’incroyable Help, condensé de syncopes, parcouru d’éclairs quasi indus, de cuivres fantomatiques et toujours d’une fine mélodie soul ultra mélancolique. La voix du chanteur, à la fois incendiaire et apaisante est ce fil qui nous amène au long de ce disque parfait qui nous rappelle que l’Angleterre est cette folle terre d’invention et d’hybridité.

On suivra les sons mutants de Yargo sur un second album en 1990, Communicate, percuté par les sonorités house du second été de l’amour, avant que le quatuor ne s’évanouisse dans la nature. Peu d’échappée en solo à signaler, en fait, j’ai pas trop cherché, j’avoue. Pour Basil Clarke, un album solo dans le nouveau siècle et pas grand chose d’autre, malgré son pouvoir surnaturel, quelques concerts pour jouer ses anciens morceaux mais sans Yargo. Pour fêter les bientôt 40 ans du disque, on retrouverait bien Yargo et l’étincelle de ce groupe à l’œuvre si minuscule mais à la dimension tellement unique. On a qualifié tant de disques de chef-d’œuvre pour bien moins que ça.


Une réflexion sur « Yargo, Bodybeat (Bodybeat, 1987) »

  1. Ça fait plaisir de lire cette critique ! Oui j’ai toujours aimé ce disque aussi après leur super concert aux Trans , plus , je crois, 2 autres dans les mois ou année suivante,toujours à l ubu. Le bassiste était fascinant sur scène en marche permanente avec le batteur (derrière ses fûts lui )

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