Il y a quelques jours, je regardais ce documentaire passionnant concernant Michael Cimino. Jean-Baptiste Thoret, le réalisateur, nous faisait prendre la route pour ainsi dire, cette route immense et large où chaque voyageur peut projeter ses rêves et désillusions. Les paysages, grandioses, ont toujours quelque chose de remarquable et de menaçant chez Cimino. Une pureté, un échec à taire… En découvrant un autre film, celui de Chloé Zhao, j’ai compris à quel point, certains plans, jouent à un éternel retour. Dans les panoramas traversés chez Zhao, combien de Cimino et de Wenders ? Cette discussion silencieuse et secrète entre ces références cinématographiques m’a bouleversé. Lourdeur et liberté de l’exil. Mélancolie d’une terre natale et ivresse de la découverte de la prochaine contrée – tout ce basculement, Chloé Zhao le filme merveilleusement. Nomadland a une patine définitivement triste, glacée parfois. Amérique si peu solaire, boueuse de son déclin – austère dans le pourrissement. Cimino disait qu’il fallait voyager d’Est en Ouest pour comprendre ce pays, pour imaginer sa folie et sa démesure. La présence des paysages immémoriaux donne à ce long métrage, une saveur quasi métaphysique. La femme incarnée par Frances McDormand trouve l’origine de ce road-movie dans un deuil. Dans tous les moments de silence qui traversent le film, moments portés par la grâce de la nature environnante, ce mort impose secrètement sa présence. Le regard de McDormand est un chef-d’œuvre de tristesse sourde. Ce film m’a donné envie de relire Amérique de Jean Baudrillard. Dans ce livre, acide et méchant, où Baudrillard affiche ses répulsions et envies secrètes, on voyage entre la nostalgie et la frénésie de la découverte. Pour résumer l’Amérique et son déclin, il disait de Monument Valley : « Ce sont peut-être ces reliefs, parce qu’ils ne sont plus naturels, qui donnent la meilleure idée de ce qu’est une culture. Monument Valley : des blocs de langage soudain en érection, puis soumis à une érosion inéluctable ». Baudrillard a parfois le mot juste pour s’aligner devant certain type de beauté mais sa rancœur emporte tout. Un autre voyage m’a toujours fasciné – celui d’une chanson. L’art de la reprise est souvent casse gueule. Ou étonne si peu. Mark Kozelek était assez bon en métamorphosant Paul McCartney, Modest Mouse ou AC/DC. Il portait ailleurs les compositions. Thomas Howard, le musicien qui se cache sous l’identité Orchid Mantis, propose ses reprises comme des madeleines, des sources de mélancolie. Dans Tape Covers 2021, il chante l’exil en compagnie de son amoureuse, en Corée. C’est maladroit, mal enregistré mais il y des petits bouts de moments tellement vrais, tellement nécessaires qui rendent honneur à Mark Linkous, Elliott Smith et Adrianne Lenker. Redécouvrir une chanson, c’est le goût sensible de la liberté.
Nomadland de Chloé Zhao, actuellement en salles.
Amérique de Jean Baudrillard (122 pages, dans la série Biblio Essais chez Le Livre de Poche)
Tape Covers 2021 par Orchid Mantis, disponible sur leur bandcamp
Ou juste là :