Ils sont une infime partie de ma collection de disques, ceux qui ont le privilège d’accompagner mes siestes, rares mais précieuses, quand le sommeil me gagne en début d’après-midi, qu’il fait soleil et que je peux m’allonger sur le lit, les portes du balcon grandes ouvertes sur les arbres qui bordent le parc en face de la chambre. Je m’assoupis dans un semi sommeil, tandis qu’ils deviennent la bande-son de mes errements chimériques, tandis que je flotte entre deux mondes.
Ils sont peu nombreux ces disques, car il leur faut un certain nombre de ressorts magiques, celui, par exemple, de me maintenir sur la surface de l’endormissement, de proposer des longues plages décharnées aux vertus hypnotiques, de dérouler, au-delà des chansons, une histoire, pas trop bavarde, mais à fort pouvoir évocateur, économe, en quelques mots, qui s’étale sur la longueur du disque. Les sons se doivent de posséder un mystère, dans lequel le cerveau au ralenti peut se réfugier, comme un bruit, mais doux et ronronnant. Et puis, il faut des incidents, des choses qui trouent parfois cette toile de coton accueillante, comme des rappels à l’inconscient, des repères sur la carte du cheminement de mon assoupissement : cris, stridences, changements d’atmosphère, instruments imprévus qui rugissent soudainement. Je suis perdu, je me retrouve, je me retourne.
Victoire Chose est un disque de cette nature. Il développe ce psychédélisme sous calmants, aéré et froid, dans un rêve de recyclage musical, peut-être au sens Emmaüs du terme, lent, pauvre, qui rappelle d’où il vient : un spectacle de cirque et de brocante, qui brasse tant d’influences que ce maelstrom a nécessité un metteur en son, chargé de résoudre le casse-tête sonore et d’en faire un disque. Mission casse-cou accomplie par Olivier Demeaux de Cheveu, qui avec les deux musiciens (et acteurs musiciens, jongleurs, danseurs, cascadeurs…), Vimala Pons et Tsirihaka Harrivel, ont extrait une substance musicale suffisamment forte sans que celle-ci ne souffre de l’absence de l’image du spectacle, reconnu et applaudi partout dans le pays. Si ses influences ont été relayées en long en large à travers les entretiens des principaux concernés, Victoire Chose peut aussi se replacer dans un contexte et une mouvance actuelle, frange de musiciens qui semblent persévérer dans une voie toute romantique : Thousand, et ses vers labyrinthiques, Cyril Cyril et leurs incantations magico-politiques, Johan Papaconstantino et son blues méditerranéen autotuné, Usé & Maria Violenza, mariés au chaos, Golem Mécanique et son BM à bourdon…
Décidément, mes futures siestes seront bien gardées.