Le leader de The Blank Tapes, Matt Adams, évoquait l’an dernier en interview l’influence de la perpétuelle chaleur californienne sur sa musique et supposait, chez les artistes, une sensibilité particulière aux conditions météorologiques. A sa solaire Cité des Anges il opposait un autre berceau musical de la côte Ouest… : « A Seattle ils ont la scène grunge. Tout le monde baigne dans cette atmosphère pluvieuse, lugubre, et je pense que cela se reflète dans leur musique, qui exprime des émotions différentes. » Ce n’est pas aujourd’hui que l’on infirmera la théorie : le vacarme de Versing annonce l’orage.
C’est sur KUPS, la radio universitaire de Tacoma, dans l’état de Washington, que Daniel Salas, alors en charge de la programmation, rencontre Baker (guitare), Keyes (batterie) et Lochner (basse). D’une passion commune pour la scène indie-rock du début des 90’s naît un groupe, auquel ils décident de donner une chance en s’installant à une cinquantaine de kilomètres de là, à Seattle. Dans la ville de Kurt Cobain, ils façonnent leur premier album et, l’ouvrage terminé, sèment le trouble en y apposant un titre insolent : Nirvana. Qu’on ne s’y méprenne pas : s’ils y font parfois référence, les quatre esthètes n’imitent en rien la plus célèbre signature de Sub Pop, mais exposent plutôt comme influences un patchwork complet de l’époque qui les a vus naître. S’il est impossible de ne pas penser à Sonic Youth à l’écoute de 10000 – dans les déflagrations de larsens ou l’intonation de Salas, si proche de celle de Thurston Moore -, ils revisitent aussi d’autres contrées orageuses : du Boston des Pixies au Dublin de Kevin Shields.
Offering est la première révélation du disque. Une ligne de guitare distordue, chargée en feedback, s’impose en ouverture. Un effet dronesque dont la présence surprend, non pas par son originalité (My Bloody Valentine a fait bon usage du procédé, sur le sublime Cupid Come par exemple) mais par l’audace avec laquelle il est traité : l’instrument reste en premier plan, malgré le chant qui débute, et n’en décampera pas. Une belle démonstration de ce qui fait toute la force de 10000 : d’une part, le soin apporté aux textures des guitares et la variété de ces dernières (comme le confirme Tethered, le morceau suivant), et d’autre part, l’assurance avec laquelle le tout est mené, par chaque membre du groupe. Sur Violeta ou In Mind, Salas déclame ses paroles avec un flegme constant tandis qu’autour de lui s’abat la tempête. Long Chord est un autre prodige de l’album : à l’arrivée du refrain, un léger ralentissement et une chute de la voix et des guitares, un peu dissonante, encapsulant tout le climat sombre et mélancolique de ce que l’on imagine être le Seattle des années 1990. Le reste du morceau ne peut bien être que tabassage d’une même note ; le tour est joué. Après la tempête, le calme : « Survivalist », plus courte et, sans doute, plus belle chanson écrite par le groupe, rappelle par sa langueur Bakesale, le chef-d’oeuvre de Sebadoh. L’album se clôt avec un tube absolu, Offering, et une pensée surgit : s’il était sorti 25 ans plus tôt, 10000 serait aujourd’hui un classique.