Au milieu d’un océan d’albums cultes, quelques compilations se frayent tant bien que mal un chemin dans les classiques. Le format n’a pas bonne presse. Qu’elles soient dédiées à un artiste, un label, un genre, les compilations sont rarement considérées avec les mêmes égards que les albums, le format roi par excellence. Pourtant certaines d’entre elles méritent certainement notre attention. Parmi elles, The Rock Machine Turns You On a eu une réelle importance historique. En 1968, le disque est le premier sampler à prix attractif diffusé en Europe. La compilation sera ainsi suivi de beaucoup d’autres: Bumpers, Fill Your Head with Rock ou You Can All Join In etc.
Le concept de sampler bon marché est créé par Jac Holzman (fondateur d’Elektra) dans les années cinquante. Inspiré par les bandes annonces de cinéma, il développe une série de compilations à prix coutant pour faire connaitre le catalogue folk du label. À la fin des années soixante, Clive Davis, le talentueux patron de Columbia/CBS, reprend l’idée à son compte et sort une compilation, à travers le monde, dédiée aux groupes, à la mode, de son roster. Milton Glaser, déjà célèbre pour le poster de Dylan qui accompagne un Greatest Hits, signe un visuel rétro marquant, relevé par la couleur argenté de la pochette. The Rock Machine Turns You On zieute clairement du coté des branchés, ces futurs baby-boomers qui conduisent désormais des SUV hybrides.
Dès le titre, inspiré d’un slogan de Timothy Leary, le pape du LSD, elle tend les bras à cette jeunesse abreuvée de contre-culture. Méfiante par nature de la publicité traditionnelle, le sampler est pourtant un coup marketing de génie. Il devient en effet un gros succès commercial grâce à son prix modique (moitié moins qu’un album) et participe au développement de certains artistes présent sur le vinyle. Des musiciens établis (Dylan, The Byrds, Simon & Garfunkel) y fréquentent des chanteurs et groupes en devenir (Spirit, Leonard Cohen, Moby Grape, Blood Sweat & Tears). Les fortunes seront diverses ; certaines formations ne deviendront ainsi cultes que dans les années 80/90, notamment les Zombies ou United States of America. Malgré les grands écarts stylistiques, le disque offre une expérience d’écoute intéressante. Véritable artefact de la fin des années soixante, The Rock Machine Turns You On donne corps et bruit à ce rock underground qui secoue le monde anglophone.
La compilation permet de réécouter de merveilleux classiques comme Time of The Season (The Zombies), Fresh Garbage (Spirit) ou Scarborough Fair (Simon & Garfunkel) mais aussi de faire de belles découvertes. Les contributions de Peanut Butter Conspiracy et Elmer Gantry’s Velvet Opera attisent particulièrement les sens. Les Californiens signent le magnifique Turn On a Friend, une cavalcade psychédélique entre les Byrds et The Mamas & The Papas. De leur coté, les Britanniques sont d’humeur freakbeat sur le nerveux Flames. Au delà de la musique, The Rock Machine Turns You On esquisse les contradictions de son époque : comment vendre des palettes de disques à ces teenagers épris d’idéalisme et d’anti-capitalisme ? Le sampler est, pendant quelques années, un des moteurs de l’arsenal des vénérables maisons de disques pour séduire ce public difficile. S’il devient moins populaire par la suite, il reste un outil indispensable des labels indépendants pendant des décennies. Sire Records rend d’ailleurs hommage à The Rock Machine Turns You On en publiant The Sire Machine Turns You Up dix ans plus tard ! La mort du CD (comme objet de consommation de masse) dans les années 2000 sonnera toutefois le glas de ce support unique et fascinant.