Trois festivals indés DIY

Little Death + Badtime en concert l'an dernier aux Ronches / Photo : DR
Little Death + Badtime en concert l’an dernier aux Ronches / Photo : DR

Il y a quelques semaines, nous vous avions signalé la fermeture de trois lieux parisiens, le Motel, le Tony et l’International. Pour contrebalancer ces mauvaises nouvelles et en attendant des nouvelles plus heureuses de la part des équipes de ces bars / concerts, nous avons choisi de vous présenter trois initiatives singulières, réalisées à grands coups d’huile de coude et de bonnes volontés, sans aucune aide publique. François Salvador (Indie Or Die), programmateur de concerts indés en région parisienne nous a prêté main forte en allant interroger les organisateurs de ces trois festivals indépendants. (TS)


En découvrant les différentes réponses à la question “Et pour toi, c’est quoi l’indé ?” compilées par Rémi Laffitte du fanzine Futur Parlé, on se retrouve face à des visions militantes dans lesquelles on se reconnaît. Pour apporter un peu plus de concret à ces réflexions, j’ai demandé à trois organisations de concert DIY d’expliquer pourquoi et comment un festival est créé. The club is open.

Pies Pala Pop #4 / Visuel : Salomé Lahoche
Pies Pala Pop #4 / Visuel : Salomé Lahoche

Baptiste (Pies Pala Pop à Rennes) : “Il s’agit à 100% de bénévolat”

En Bretagne, quelques associations programment des groupes de rock ou punk indépendants à l’année dans les bars. Quand l’été arrive, les festivals prennent le relais comme le Pies Pala Pop (PPP) en juin et le Binic fin juillet. Dans le premier, une dizaine de bénévoles travaillent en amont et pendant les deux jours de l’événement, ils s’attellent à l’affichage, les relations médias, le rapport au VSS et la billetterie. Baptiste, en charge de la com à l’association Des Pies Chicaillent explique : “Nous contactons pas mal de groupes en direct afin de voir avec elle.ux si ça leur dirait de venir jouer chez nous”, et ça fait écho à une pratique qu’on voit souvent dans le DIY, le digging permanent pour faire connaître des groupes par chez nous. Viktor, bien connu dans les pages de section26 et responsable des concerts aux Ronches (à Roncherolles-sur-le-Vivier, à 15 minutes au-dessus de Rouen, en Haute-Normandie) acquiesce : « J’écoute beaucoup de musique dites de niche et ça me permet une grande créativité sur la programmation”. Iels sont trois à faire tourner leur épicerie-bar mais c’est lui qui a la confiance des deux autres pour organiser des concerts.

Déclinaisons Pop #1 / Visuel : Viktor der Panini Joe
Déclinaisons Pop #1 / Visuel : Viktor der Panini Joe

Viktor (Les Ronches à Roncherolles-sur-le-Vivier) : « On a lancé les concerts chez nous pour fêter notre première bougie » 

Pour celleux qui se plaignent de ne rien connaître à la programmation du Pitchfork Paris alors que tous les groupes sont étrangers, faites le test avec le visuel fait en deux coups de cuillère à pot de la première édition de Déclinaisons Pop. Lucky you, vous avez accès à des morceaux gratuitement sur les pages Bandcamp de chaque artiste ; c’est testé et approuvé en rédigeant cet article.

Another Dancer ont proposé de jouer un vendredi et Marius Atherton le samedi donc j’ai pensé à créer un festival autour de la pop”, nous précise Viktor comme si de rien était. Il faut tout de même préciser que le bougre a de la bouteille puisqu’il officiait chez Buddy Records (2015-2022) à Paris avec d’autres camarades, une association qui sortait des disques et programmait des concerts. Chassez le naturel, ouvrez une épicerie bar en province et vous y organiserez des concerts un an plus tard.

Tapage Nocturne / Visuel : Romain, co-responsable de la prog avec Johan et François
Tapage Nocturne / Visuel : Romain, co-responsable de la prog avec Johan et François

François (PIEG à Paris) : « Les lieux qu’on investit sont à contre-courant de ce qui se fait dans le giron institutionnel”

En parlant de vieux briscards, le collectif PIEG est spécialisé dans les musiques curieuses depuis 2014, et la dizaine de camarades aux commandes ont programmé des soirées dans des lieux à l’est de Paris comme la GareXP, la Flèche d’Or et Le Sample. Pour leur dernier tour de piste, iels ont choisi l’itinérance sur trois soirs dans ces lieux “qui leur ont fait confiance”. Ici, on touche à l’essence même de pourquoi ces initiatives existent : la fidélité entre les associations et les lieux d’accueil mais aussi et surtout avec le public qui les soutient. “L’implantation locale, c’est surtout la mission du lieu accueillant”, lance François (PIEG), et cela induit selon lui, “une connaissance profonde du secteur associatif local qui se crée au fil du temps”.

L’exemple de La Flèche d’Or, que l’on fréquente depuis une quinzaine d’années est éloquent à ce sujet et surtout depuis le COVID. Ayant été bénévole là-bas à cette période, je me souviens des maraudes organisées et des repas proposés alors que la France était à l’arrêt. Nous étions quelques dizaines à utiliser nos différentes compétences en lien avec l’action sociale dans le 20e arrondissement. Fin mai 2025, avec leur festival Tapage Nocturne, les PIEG s’inscrivent dans cette volonté de célébrer ces initiatives libres et les lieux qui résistent à la “riverainisation” décidée par les différentes mairies à Paris et ailleurs.

Belvoir au Pies Pala Pop 2022 - les deux membres font partie de PIEG / Photo : Alter1fo
Belvoir au Pies Pala Pop 2022 – les deux membres font partie de PIEG / Photo : Alter1fo

Du côté de Rennes, “On voulait un temps fort après le COVID et c’est comme ça qu’on a organisé la première édition du PPP en 2022”, raconte Baptiste, avec un grand sourire. La rencontre avec le Jardin Moderne s’est faite naturellement puisque le lieu met à disposition “une très belle scène extérieure couverte pour les associations locales”. Utiliser un endroit déjà bien installé permet des économies financières mais aussi une dépense moindre d’énergie en amont et le soir même du festival. “On a du faire face à l’augmentation du prix des transports. Louer une voiture revient quatre fois moins cher que de prendre le train pour un groupe”, regrette Baptiste. Sans parler des groupes qui viennent d’Outre Manche comme Memorials ou d’Outre Atlantique comme Gus Englehorn, tous deux programmés cette année. D’où le bénévolat lui aussi prôné par l’équipe, qui est épaulée par d’autres structures locales comme la maison de disques Cartelle, le festival Les Tombées de la Nuit, le brewpub Bloom Pop et l’atelier de sérigraphie Bonjoure. Remarquons que le microcosme qu’on trouve à l’est de Paris et dont se revendique PIEG est un cousin pas si lointain de celui à Rennes. “C’est chouette de ne pas se sentir seul.es et de partager nos façons de travailler” conclut Baptiste sur ce point essentiel du DIY qu’est la camaraderie.

Another Dancer / Photo : Anna Scholiers
Another Dancer / Photo : Anna Scholiers

A Roncherolles-sur-le-Vivier, Viktor confie qu’après un an et demi de concerts organisés dans leur garage, et avec l’été qui arrive, le festival prenait tout son sens. “La mairie est très bienveillante avec nous, on se respecte et on bosse souvent main dans la main”. Ce soutien (non financier) des pouvoirs publics va ainsi leur permettre de voir plus loin et de proposer d’autres événements comme des expositions, du théâtre et des lectures publiques. L’avantage de commencer dans “les caves et salles obscures de Paris” (La Pointe Lafayette, à jamais dans nos cœurs) est que tout nous paraît plus grand et accessible ensuite. L’atmosphère conviviale que les trois larrons des Ronches ont créée dans leur épicerie bar donne envie aux habitant.es du coin et des alentours de venir découvrir des groupes qui ne passeraient pas ailleurs dans la région comme les belges Another Dancer, entre Daniel Johnston et les débuts expérimentaux de Blonde Redhead, ou encore Marius Atherton qu’on a beaucoup défendu dans ces pages et Saul Adamczewski, échappé de la Fat White Family en solo. Pour la suite, “On va continuer sur cette lancée en se structurant un chouilla plus”.

Pneu / Photo : DR
Pneu / Photo : DR

Cette envie de grandir à hauteur de ses moyens, on l’a aussi retrouvé dans PIEG pendant dix ans et même si Tapage Nocturne est leur dernier baroud d’honneur, l’équipe est allée au bout de son ambition avec notamment une solidarité dans la partie financière qui leur tenait à cœur, “économiquement, on a partagé le constat que beaucoup d’artistes autour de nous sont dans la panade avec les coupes budgétaires dans le secteur culturel”. Iels ont donc fait le choix de déclarer un maximum de monde et de “programmer des formes simples plutôt que des orchestres de 25 personnes” comme le duo Pneu qui propose un noise rock depuis un paquet d’années. Il joue le 23 mai au Sample et vous pourrez profiter du jardin entre les concerts. François de PIEG rapporte que son équipe a dû bûcher en distanciel et on entame ici le dernier rouage essentiel d’un festival DIY, les petites victoires qui nous donnent envie de continuer ce que l’on fait malgré l’énergie dépensée.

Eparpillé.es dans toute la France et pris.es entre la vie de famille et de tournée comme tout musicien.ne qui se respecte, le collectif PIEG a monté Tapage Nocturne comme des grand.es. A force de participer à des concerts, le public oublie parfois que derrière chaque soirée, malgré les difficultés rencontrées par les salles (l’annulation d’une conférence pro-palestinienne à La Flèche d’Or par la Mairie de Paris), il est nécessaire de mettre en avant les projets parfois menés dans l’adversité comme les trois festivals DIY présentés ici.

“Faire perdurer le festival pendant trois ans, c’est une petite victoire et comme le public vient de plus en plus en nombre, on risque fortement de continuer” s’enthousiasme Baptiste (PPP) et Viktor de compléter,  “Ici, j’ai l’impression d’être en Australie avec les concerts que j’ai pu voir là-bas”.

Pour ma part, j’ai l’impression qu’il s’est passé un truc dans le milieu underground français suite au COVID et en lisant les réponses de mes camarades, je mets enfin le doigt dessus : nous n’avons pas voulu « revenir au monde d’avant” mais plutôt eu l’envie d’en créer un qui nous corresponde un peu plus à chacun dans nos sphères confidentielles.

Bien qu’on soit actuellement face à une équation plutôt complexe avec plus d’associations de concerts qu’avant, (“un vivier infernal de personnes talentueuses”, nous dit François de PIEG) mais moins de lieux pour les accueillir, la solidarité s’organise de mieux en mieux. Le bouche à oreille est donc essentiel, et votre participation serait la cerise sur le gâteau. Surtout n’hésitez jamais à remercier de vive voix ceux derrière la programmation des événements où vous vous rendrez. Le dernier mot revient à la team du Pies Pala Pop qui résume bien cet état d’esprit : “Longue vie aux événements DIY !”

François Salvador

Déclinaisons Pop #1 les 16 et 17 mai aux Ronches à Roncherolles-sur-le-Vivier
Possibilité de camping dans le village, 5 euros par nuit (l’argent va à l’asso d’éco pâturage locale)
Tapage Nocturne par le Collectif PIEG les 22, 23 et 24 mai à la Flèche d’Or, au Sample et à la Gare XP à Paris 
Pies Pala Pop #4 par Des Pies Chicaillent les 13 et 14 juin à Rennes

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