Des fragments de plusieurs passés épars. Des souvenirs déjà usés – plus ou moins – mais ouverts à la réappropriation active. Un bric-à-brac hétéroclite dont la seule cohérence réside dans le fait d’avoir appartenu, à un moment ou à un autre, à une même vie. On ne peut qu’être sensible à tout ce qui fait ainsi le charme ineffable des vide-greniers. Tim Keegan aussi qui expose ici au grand jour onze bribes, trop longtemps enfouies, de ses décennies consacrées au noble artisanat du songwriting. Onze chansons, donc, ébauchées entre 1988 et 2024, parfois évoquées au détour d’un concert mais jamais encore enregistrées. Deux guitares, une basse et une batterie suffisent à en constituer l’unité en les inscrivant résolument dans cette tradition toute britannique qui s’ancre formellement dans les références aux modèles transatlantiques – Reed, Dylan, Cohen pour ce qui est de la Sainte Trinité.
![Tim Keegan Tim Keegan](https://section-26.fr/wp-content/uploads/2025/02/0038393964_10.jpg)
A partir de ces seuls constituants élémentaires, Keegan remet en forme toutes les parcelles de vie dont il s’est emparé au fil des ans, comme on remplit son panier d’objets disparates, au gré des impulsions du moment, lorsque l’on parcourt les allées d’une brocante. Tout est bon à faire une chanson, qu’il s’agisse d’un souvenir intime (Before You Were Born), des extraits d’une conversation saisie sur le vif dans un aéroport (Jamie’s Going Snowboarding), de l’indignation légitime face à l’état du monde et de quelques un de ses dirigeants (Just Another Liar In A Suit) ou même des hasards heureux qui conduisent à la mise au monde d’un nouveau titre (Peculiar Day). En rassemblant tous ces morceaux, juxtaposés avec une élégance admirable, Keegan est parvenu une fois encore à façonner un ensemble à la fois cohérent et très contrasté qui expose à l’auditeur une palette de sentiments nuancés. Comme dans la vie, les sourires réjouis alternent avec les picotements intimes de la nostalgie.
A l’évocation émouvante des péripéties de long terme du couple et de la parentalité – Intensive Care Unit – succède le groove imparable de Unfun, qui n’est pas sans évoquer celui de King Kong Frown (2002) et ressuscite de ce fait quelques souvenirs d’un début de siècle où Departure Lounge semblait encore promis à la reconnaissance publique. Puis Pomme De Terre, pochade francophile résonne comme un hommage tragicomique à feu Pat Fish (The Jazz Butcher) et à sa célèbre comptine burlesque – La Mer (1983). A l’égal de ses maîtres les plus inspirés, semblable à ces façonniers virtuoses qui restaurent les objets usés, Tim Keegan insuffle ainsi une nouvelle âme aux débris abandonnés de l’existence.