Ceux qui connaissent The Simps ont sans doute d’abord entendu parler d’Eyedress ; sur TikTok, où certains de ses titres sont devenus viraux, ou par King Krule et Dent May par exemple, avec qui le musicien a récemment collaboré. Une rumeur confirmée : Idris Vicuña de son vrai nom, dont le quatrième album, Mulholland Drive, paraissait l’été dernier, se retrouve depuis quelques mois dans la fameuse liste des artistes émergeants de l’hebdomadaire américain Billboard.
C’est lors de l’un de ses concerts en 2018 que Zzzahara fait sa connaissance. Ces enfants d’immigrés philippins se retrouvent autour d’une histoire culturelle commune, mais aussi d’un certain goût pour la bedroom pop lo-fi, le post-punk et la new wave. De fil en aiguille, elle devient sa guitariste sur scène. Ils jamment, utilisent des samples d’Eyedress, improvisent des paroles. Zzzahara a tendance à évoquer sa rupture récente, Idris est tout aussi sentimental. En étalant leur vulnérabilité d’êtres amoureux, ils admettent en rigolant faire ce qui se caractérise, dans l’argot et de manière assez péjorative, du simping. Les jeunes trentenaires prennent le parti d’assumer leur sensibilité : ensemble, ils sont The Simps.
Le 14 février dernier, jour de Saint Valentin, paraissait sur Lex Records – label londonien auquel Eyedress est fidèle depuis ses débuts – leur premier album, collection des titres enregistrés ensemble au cours des trois dernières années. Une ode à cet amour grave, entre euphorie et tragique, que l’on découvre à l’adolescence.
Le premier titre, Tesla, donne la fiche technique : des synthétiseurs oniriques, une boîte à rythmes martelante (une Roland TR-505), une basse et une guitare ultra saturée mais sans pédales ; les effets, c’est sur Ableton. Et puis la voix, lointaine : priorité donnée au chaos jubilatoire qui se joue au premier plan. Se distinguent tout de même les mots, comme transcrits d’une fameuse scène du premier épisode d’Euphoria : Dilated pupils / Staring in her eyes / Blissful forever / When we’re together / I’m feeling colors.
Le second titre, puis le suivant, confirment eux une intuition : ce son, c’est celui du monde d’avant, celui d’Ariel Pink, de John Maus et de Part Time. Tout ici vient de là. L’identité des voix, transformées, est brouillée, et cela importe peu. Ces chansons d’amour, pour une fois, n’ont pas de genre.
La mélancolie est de plus en plus prégnante et sur I Got You, la jouissive On Fye ou Rainbow After Rain, c’est aux guitares des Beach Fossils, celles de Daydream (2010) par exemple, que l’on pense ; des guitares frénétiques, en boucle comme des sirènes. Le mixage volontairement imparfait, avec un chant presque inintelligible, en rajoute à l’aspect juvénile et urgent du projet.
L’atmosphère se fait plus rêveuse parfois. Berry Bowl Evil Boss Level dévoile des sonorités féériques, et si Guardian Angel venait aux oreilles de Victoria Legrand de Beach House, les Angelinos risqueraient sans doute des poursuites pour plagiat.
Hold me Down, le deuxième single après Tesla, marque une rupture avec la gravité démontrée précédemment : tout y est plus clair, épuré. Zzzahara s’y montre tongue-in-cheek, taquine : When you’re around / I just wanna love you for one night. Le duo, pour la première fois, ne suggère plus ses influences et révèle tout son potentiel. Ce sera de nouveau le cas sur les languissantes Codeine Coma et Cinderella’s Daughter, toutes deux allégées de guitares, comme de moelleuses parenthèses.
Ironiquement, l’album se termine avec un titre que les amis avaient déjà publié il y a trois ans, le premier qu’ils aient enregistré ensemble, Miss Fortunate. Une ballade mélancolique, ponctuée d’un riff de guitare entêtant ; parfaite. Il y a bien, en effet, quelques moments de perfection dans ce disque, dont le seul bémol réside dans l’évocation, parfois trop évidente, de ses inspirations. Un défaut qui aurait sans doute pu se gommer avec le temps mais malheureusement, de temps ce projet manquera, Eyedress ayant récemment confié préférer recentrer le sien sur son propre nom.