Le temps file : vingt-sept ans depuis la première rencontre, cinq ans depuis les dernières retrouvailles. A chaque fois, on redécouvre David Scott très exactement à l’endroit où on l’avait quitté. Parfois, il n’en faut pas davantage pour procurer cette forme de réconfort bienfaisante en constatant qu’il est possible de maintenir une continuité de l’existence qui résiste à l’entropie et au chaos. Comme son titre l’indique sans détour, Making Tapes For Girls est un album nostalgique entièrement consacré à la passion musicale et à son omniprésence vitale pour tous ceux qui la partagent, à vingt ans comme à soixante. Non pas parce qu’elle constituerait un refuge érudit hors du monde mais, au contraire, parce qu’elle ne cesse d’imprégner les rencontres, les émotions les plus intimes et les souvenirs les plus précieux. On peut presque tout raconter d’une vie en la condensant quelques disques et autant d’engouements marquants et durables.
C’est ce qu’est parvenu à faire Scott, admirablement. Et, au-delà d’un savoir-faire incontestable – il est difficile d’imaginer chansons mieux écrites ou plus subtilement arrangées que ces douze là – il y a quelque chose de très touchant à l’entendre revisiter, à petites touches impressionnistes, ce qui demeure d’essentiel et qui continue de l’accompagner pour la seconde partie du chemin.
Les références aux maîtres – musicales ou textuelles – sont nombreuses et précises. Elles alimentent la mémoire et continuent de modeler les résurgences du passé tout autant que les émotions présentes. A force d’écoutes, elles ont fini par s’agréger en un filtre qui ne permet plus de dissocier la réalité et la musique qui l’accompagne. Elles ont façonné les premières ambitions un peu naïves de l’aspirant songwriter dans les quartiers populaires de Glasgow – « We’ll sing it out to Judee Sill and Tony Hourdain » sur We’re Gonna Make A Hit Record Boy qui renoue avec l’euphorie pop des premiers Aztec Camera. Elles ont servi de support indispensable aux cristallisations des émois romantiques adolescents, quand les cassettes compilatoires que l’on n’osait même pas toujours offrir à l’être aimé disait plus et mieux de ce que l’on croyait confusément ressentir – « I didn’t know how to say the right thing/So I left it to Joni and Paul/Life held no clues for life/But those songs held them all/I meant every word they said » sur Making Tapes For Girls. Bacharach, Wilson, McAloon demeurent omniprésents, bien plus tard. Pas d’adieux sans leurs notes ou leur soutien qui consolent un peu et laissent dissipent un peu de la culpabilité associée aux larmes– « Don’t ever let them tell you/That the melody’s too sweet. » sur le magnifique Kisses On The Window. Ce sont encore ces mêmes références qui nourrissent l’inspiration et l’envie du renouvellement, y compris dans l’exercice de style virtuose – et a priori très casse-gueule mais fort bien réalisé – consistant à écrire une chanson sur les occurrences d’un prénom dans les titres d’autres chansons (The Word Evangeline). Elles se prolongent jusque dans le regard ému et bienveillant du grand-père qui prend appui sur les moments ludiques partagés avec sa petite-fille pour décrire les aventures imaginaires d’un groupe qui n’existera que le temps d’une chanson (Yellow & The Lovehearts) oui lui dédier une pseudo balade irlandaise que l’on croirait surgie du répertoire de Prefab Sprout (Sweet Jenny Bluebelle). Quelques semaines à peine après son vieux compagnon d’arme Duglas T. Stewart, David Scott signe donc, lui aussi, l’un de ses tous meilleurs albums. Et nous conforte ainsi dans la conviction rassurante que l’enthousiasme pour la musique peut garantir, parfois, une certaine forme de longévité.
J’ai trouvé les ambitions vocales « CélineDionesques » (exercice de style virtuose ?) de David Scott de moins en moins supportables.