C’est l’un de ces instants où le plaisir rare des retrouvailles se mêle à la tristesse du deuil puisque la publication de ce neuvième album de The Pearlfishers – le premier depuis cinq ans ; le second depuis 2007 – coïncide avec l’annonce quasi-simultanée de la fermeture de la belle maison hambourgeoise qui abritait avec fidélité et bienveillance David Scott et ses camarades. Marina Records s’apprête malheureusement à mettre la clef sous la porte et l’on se prend à regretter d’avoir trop souvent considéré comme un acquis secondaire l’existence de cette institution qui a largement contribué à entretenir la flamme d’une pop classique et mélodieuse, révélant au passage quelques talents en marge de leur époque – Brent Cash, pour n’en citer qu’un – tout en préservant ses liens privilégiés avec les vétérans de la scène indie écossaise (Malcolm Ross, Michael Head) pour lesquels elle a souvent constitué un ultime refuge. Scott fait partie de ceux-là et c’est un juste retour des choses qu’il offre à ses protecteurs, en guise d’oraison funèbre, un feu d’artifice musical de très haute tenue.
Passionné par la magie éphémère des chansons au point d’enseigner désormais les ficelles de l’écriture pop à l’université de Glasgow, le natif de Falkirk est parvenu, en un peu plus de trois décennies consacrées à la cause du songwriting, à peaufiner les contours d’un style à la fois très référencé et profondément personnel. Scott n’a jamais fait mystère de sa fascination pour les grands maîtres américains de la pop orchestrale et flamboyante qui, de Brian Wilson à Burt Bacharach en passant par Laura Nyro, n’ont cessé d’imprégner ses compositions richement arrangées. D’emblée, il les convoque une fois de plus sur le premier morceau qui donne son titre à l’album, où cordes et cuivres enluminent les méandres d’une mélodie belle à pleurer. Heureusement, ce savoir-faire méticuleux n’est pas mis au service de l’entretien académique d’un formalisme abstrait ou cloisonné. Ici, l’inspiration se nourrit d’expériences humaines qui contribuent à préserver une forme d’ouverture et de respiration salutaires. Ancrées dans les paysages et les atmosphères locales, les chansons fourmillent de détails concrets et d’observations précises qui leur confèrent ce charme unique et original : les souvenirs fragmentés de la bohême pop londonienne au sein de laquelle Scott fit ses premiers pas, au milieu des années 1980 (Once I Lived In London) ; les trottoirs humides de Glasgow qu’il nous propose d’arpenter en sa compagnie sur Could Be A Street, Could Be A Saint ou A Walk Into The Blue Night. Jusqu’aux dernières notes de l’interlude instrumental aux accents morriconiens A Woman On The Verge Of Becoming A Cyclist, tout est fait pour maintenir un équilibre juste et stable entre les éléments constitutifs de ces popsongs à la fois libres et maîtrisées. Stefan Kassel et Frank Lähnemann, les deux fondateurs de Marina, peuvent donc clore leur aventure peut-être avec quelques regrets mais sans le moindre remord posthume : l’ultime page de leur catalogue n’est pas loin d’être la plus belle.