Mince. Le bassiste joue sur une Höfner – peut-être pas le même modèle que Paul McCartney, mais quand même… Il y a quelques années, cela aurait sans doute suffi à ce que je tourne les talons, un air dédaigneux au coin des lèvres, direction le bar situé à peine à une centaine de mètres où le spritz servi dans des gobelets en plastique coule à flot – pour cinq misérables euros. Oui, mais voilà. L’âge (le mien), la nationalité du groupe (espagnole), le site (Valdebedas, la banlieue madrilène où se trouve le camp d’entrainement du Real Madrid), la moiteur de la nuit – il est 22h00, et le soleil s’est enfin couché sur l’immense site du festival Mad Cool –, les corps qui ondulent et les bras tendus vers la scène font que l’envie de rester l’emporte sur tout le reste. D’autant que les quatre, voire cinq, puis six musiciens ont la passion chevillée au corps, une joie de vivre communicatrice et des chansons tout aussi parfaitement dépenaillées et déglinguées qu’eux. The Parrots sont à l’image de leurs morceaux, chantés dans un drôle d’idiome où se télescopent anglais et castillan : volubiles, attachants, un peu barrés, délicieusement foutraques, toujours surprenants. Les deux membres originaux que sont Diego (chant, guitare) et Alex (basse, chant) n’ont jamais caché leurs ambitions : « On veut que tous nos concerts ressemblent à des orgies », déclaraient-ils à El País à l’automne 2016. Trois ans plus tard, c’est en effet toujours le cas. Certes, autant l’avouer de suite : ce soir, au pied de l’une des scènes du festival madrilène – leur ville, quand même, ça doit leur tordre un peu le bide –, pas sûr que les jeunes copulent dans l’allégresse, mais il y a quand même beaucoup de sueur et de joie, de cris et de sourires, de corps qui se frôlent, se touchent, s’écartent et se rapprochent. Accompagnés par leurs amis musiciens – dont le génial Lois, auteur il y a quelques années de l’une des plus belles ballades du XXIe siècle –, Diego et Alex passent en revue une partie d’un répertoire pléthorique, dont les origines remontent à 2013.
Depuis, il s’en est passé des choses pour ces fans de The Strokes qui rêveraient d’écrire une chanson pour le jeu vidéo FIFA. Les amitiés (voire plus si affinités) avec les demoiselles de Hinds (leur pendant féminin), les concerts en Amérique, les tournées en Grande-Bretagne, la signature sur le toujours très cool label londonien Heavenly Recordings, un album absolument jouissif (décidément) – Los Niños Sin Miedo (2016) – et une reprise géniale d’un hit reggaeton de Bad Bunny, Soy Peor. C’est ce titre qui déclenche la folie absolue, une folie parfaitement entretenue pas une version chauffée au fer rouge de No Me Gustas Te Quiero. Entre bains de foule et rixes avec le service d’ordre, The Parrots échangent leurs instruments, se cassent la figure, bombent le torse, offrent en même pas une heure une petite leçon d’amateurisme éclairé et un troisième souffle à un rock qui quitte définitivement sa voie de garage… Surtout, ils donnent une image assez exacte de qu’aurait pu être Pavement à ses débuts, si Stephen Malkmus n’avait pas passé son temps à regarder sa tronche dans un miroir : le groupe le plus cool de l’univers.