En 2019, de nombreux classiques des années soixante et soixante-dix vont fêter de respectueux anniversaires (cinquante et quarante ans), mais n’existe-t-il pas des albums cultes (ou en passe de le devenir) plus proches de nous, auxquels nous pourrions davantage nous identifier, nous qui n’étions pas nés à la sortie de ces monuments ? En scrutant d’une attention débordante ma timeline facebook, je tombe sur un post de Slumberland qui rappelle à dessein les dix ans d’un disque qui m’a personnellement marqué : le premier album des Pains Of Being Pure At Heart, qui porte le nom du groupe. Vendredi dernier, le 1er février, je passais justement Young Adult Friction en ouverture d’un de mes dj sets au Supersonic, juste après un concert de Dead Horse One. La coïncidence était beaucoup trop troublante pour ne pas avoir envie de dire quelques mots sur ce disque significatif.
J’ai probablement découvert The Pains Of Being Pure At Heart en 2010, un peu après l’engouement général, mais je l’ai fait mien très vite. L’époque me semble aujourd’hui si proche et si lointaine. Il s’agit peut-être d’un lieu commun, mais la manière dont circulait la musique était différente, elle portait en elle en substance son mode de fonctionnement actuel mais paradoxalement avec quelque chose de plus enjoué et moins cynique. La découverte de cet univers inconnu à portée de clic était une source de curiosité intarissable. Habitué à la frustration de l’attente et du choix restreint, l’ouverture de cette boîte de Pandore eut pendant quelques temps un effet dopant incroyable. Depuis, habitués à cette profusion, nous vivons une longue descente, une gueule de bois avec la peur de toujours manquer le truc vraiment exaltant.
Il n’est pas certain que les Pains of Being Pure At Heart auraient pu avoir autant de succès dans un autre contexte que celui de la fin des noughties. Le groupe coche toutes les cases de la musique de niche ultime, mais paradoxalement, ils eurent un succès crossover bien au-delà de la fan base de ce genre de musique. Le groupe se rencontre dans des circonstances dignes d’une sitcom (Friends et surtout How I Met Your Mother) qui se passerait à New York, d’où le groupe est originaire. Kip Berman et Alex Naidus se rencontrent sur leur lieu de travail, et partagent leur amour commun pour Field Mice, Smashing Pumpkins, The Black Tambourine ou Nirvana. Rejoints par Peggy Wang, ils font leur premier set à son anniversaire. Après avoir posté des morceaux sur Myspace (les années deux-mille…) et auto-publié un premier EP en 2007, le groupe rejoint Slumberland, l’un des labels fétiches de Kip. En 2009, les new-yorkais publient The Pains of Being Pure at Heat , presque un classique instantané. Il redynamise en tout cas à la fois une indie-pop en vase close autour de quelques scènes (ibériques, suédoises) et un label légèrement moribond en attente de cet air frais pour rebondir. Slumberland avait certes commencé sa révolution début 2008, mais connaît dans la foulée un second âge d’or qui se poursuit encore de nos jours, peut-être pas avec la même intensité qu’il y a cinq ans, cependant. Le label d’Oakland (et ex-Washington DC) nous offre dans un laps de temps assez réduit: Spectrals, Brillant Colors, Girls Names, Violens, Weekend, etc.
Si The Pains of Being Pure at Heat a eu un succès au delà des fans indie-pop canal historique, c’est avant tout grâce à la qualité de ses chansons, à la fois mémorables et humbles. La formation, loin de chercher la révolution ou faire une musique prétentieuse, se contente en effet de faire ce qu’ils aiment, et cela du mieux qu’ils peuvent. Modeste sur le papier, The Pains Of Being Pure At Heart joue la carte de la sincérité avec une certaine innocence, véritable filigrane de ce disque optimiste et ingénu. Difficile ainsi de résister à cette force candide et positive qui nous envahit à chaque écoute de The Pains Of Being Pure At Heart. Retrouver ce disque, c’est se prendre dans la tronche un peu d’euphorie et un sentiment d’allégresse déroutant, tant il semble sans calcul. L’album n’est certes pas parfait de bout en bout, mais les singles explosent de fraîcheur et vous désarment, vous dépouillent de votre carapace. Young Adult Friction garde, dix ans après, une ardeur particulière, dès le beat d’introduction au tempo relevé, nous pressentons la chose venir. Le jeu de questions/réponses entre les voix de Kip et Peggy fonctionne parfaitement, et derrière, le groupe joue une pop nerveuse et légèrement canaille. En quatre minutes, The Pains of Being Pure at Heart offre peut-être l’une des meilleures chansons indie-pop des quinze dernières années. Everything With You est à la fois un rush d’énergie, avec un démarrage en trombe presque digne des Who des années soixante, avant de nous accompagner vers une chanson indie-pop noisy que ne renieraient pas les Primitives avec leur morceau Crash. Come Saturday suit un motif proche pour un résultat similaire : une bombinette d’enthousiasme. D’autres chansons, non parues en single, sont devenus depuis des classiques du groupe. Je garde un faible pour A Teenager In Love, peut-être parce qu’elle évoque The Wake, un autre charmant groupe que nous sommes nombreux à chérir. En réécoutant le disque The Tenure Itch surprend par son évocation du Velvet Underground qui aurait croisé avec The Field Mice. Contender, qui a l’honneur d’ouvrir l’album, sonne aussi comme un petit classique. Gentle Sons convoque Phil Spector à un banquet de guitares saturées mais mignonnes. The Pains Of Being Pure At Heart manque peut-être d’un chouïa de variété sur la longueur (beaucoup de morceaux uptempo avec des guitares fuzzy), mais ce défaut est compensé par l’honnêteté et l’élan mis dans l’ouvrage.
Après l’inaugural The Pains Of Being Pure At Heat, la formation new-yorkaise ne retrouva jamais cette étincelle de magie sur un long format. Les deux singles suivant l’album, qui n’apparaissant par sur le second, sont deux autres merveilles : Higher than the Stars et Say No To Love. Belong (2011) divise les fans : produit par Alan Moulder, ce second album explore les obsessions du groupe pour les Smashing Pumpkins. Days of Abandon (2014) renoue avec l’indie-pop remuante des débuts, sans pour autant être portée du même souffle, peut-être du à l’absence de Peggy Wang, pièce importante du son des Pains of Being Pure At Heart. Depuis, le groupe a sorti un autre album en 2017 (The Echo Of Pleasure) que je n’ai pas écouté – et malheureusement, je ne pense pas être le seul – et leur dernier l’an passé, Full Moon Fever, un disque de reprises de Tom Petty. The Pains Of Being Pure At Heart ont-ils tout dit avec leur premier LP ? Peut-être, peu importe, il est là, il continue de résonner en nous et a donné à nombre d’entre nous l’envie d’écouter et de creuser dans l’indie-pop, dans le catalogue Slumberland et bien d’autres réjouissances. Un disque de passeurs, d’enthousiastes modestes, mais doués.