Le psychédélisme a eu son heure de gloire, pendant quelques saisons, à la fin des années 60. Quelque part entre 1966 et 1969, les groupes se sont épris de mélodies orientales, LSD et autres orgues acides. Depuis, de nombreux candidats ont essayé de retrouver l’alchimie unique de cette époque. Certains de ces héritiers y sont parvenus, par exemple Rain Parade et Dukes of Stratosphear au début des années 80 ou encore The Orange Alabaster Mushroom, quelques temps plus tard. Nous sommes en l’an 2000, pas de bug informatique à l’horizon mais cette drôle de pochette aux couleurs vives, d’un orange pétulant. À première vue, il pourrait s’agir d’un visuel de teknival, tant ce champignon stylisée exsude de substances psychoactives. Une fois la cellule posée sur le vinyle, c’est pourtant une toute autre histoire qui se joue.

The Orange Alabaster Mushroom est une récréation aussi fidèle qu’intime du son des groupes garage psychédélique sixties. Pink Floyd, The Byrds, Love, Strawberry Alarm Clock, The Doors, July ou The Seeds se rencontrent dans un ascenseur : vous connaissez la suite. Nous devons cette anomalie temporelle à un seul homme, Greg Watson. Depuis Kingston, dans l’Ontario (Canada), le musicien forme des groupes, souvent garage (The 14th Wray, The Fiends, The Knurlings, Thee Deadbeatniks). Actif depuis les années 80, il s’autorise dans la décennie suivante d’enregistrer, seul armé de son 8 pistes, des morceaux psychédéliques. Certains atterrissent sur des 45 tours. Couchées sur bande entre 1991 et 1999, les chansons de la compilation Space & Time, A Compendium of The Orange Alabaster Mushroom forment ainsi un tout cohérent.

Certes Greg Watson a gagné en confiance dans l’intervalle. La seconde face (dédiée aux morceaux de la fin des années 90) bénéfice d’un peu plus de clarté mais, le propos ne bouge, lui, pas d’un iota. The Orange Alabaster Mushroom ignore les modes, l’histoire de la musique et fait ce qu’il lui chante. Certains pourraient être alors perturbés du purisme de la démarche. Greg Watson lève cependant toutes les réserves avec d’excellentes compositions, comme (We Are) The Orange Alabaster Mushroom, qui s’empare de nous par sa morgue et sa hargne. Sur Crazy Murray, le groupe se remémore les mélodies mi-enfantines mi-démoniaques de Syd Barrett. Another Place est une autre réussite mémorable, peu de gens ont su capter l’esprit du rock sixties avec une telle finesse. The Orange Alabaster Mushroom s’y autorise même un rave-up planant, où un solo d’orgue se fraie un chemin. Dans un deuxième temps, Greg Watson s’appuie sur un référentiel un peu plus éclectique.
La face B démarre en trombe sur la fantastique Ether Tripped A Mean Gloss et ses geysers de 12 cordes. Valerie Vanillarama est-elle un hommage aux Monkees ou aux Beatles ? Il est sûr, qu’en fin de parcours, The Orange Alabaster Mushroom s’empare des Kinks et leurs obsessions pour le Vaudeville (Sunny Days). Space & Time est un très belle aberration. Dans une de ses nouvelles (Pierre Ménard, auteur du Quichotte), Jorge Luis Borges imagine un auteur tentant de réécrire à l’identique le premier livre de Don Quichotte ; il y a de ça chez The Orange Alabaster Mushroom. Greg Watson a mis la main sur quelques précieux ingrédients et s’être approprié le sujet avec une grâce certaine. Le 33 tours n’exclue pas quelques redondances, mais nous les pardonnons facilement tant il y a à chérir ici. Space & Time est alors à la croisée des savants fous du home studio (Cleaners from Venus, The Toms, Guided by Voices, R. Stevie Moore) et des meilleurs groupes psychédéliques post-sixties (The Bevis Frond, Flaming Lips, The Olivia Tremor Control), pas si mal pour une douzaine de chansons écrites dans un appartement il y a une trentaine d’années !