Crock of Glod, A Few Rounds With Shane McGowan, le documentaire consacré à l’inénarrable et génial leader des Pogues nous avait particulièrement tapé dans l’œil lors de la dernière édition du festival FAME en févier dernier. Dans ce récit de la vie chaotique de McGowan, réalisé d’une main de maître par Julien Temple, on avait pu apprécier l’évocation des débuts musicaux trop souvent ignorés du trublion irlandais. Car avant les Pogues, il y a eu The Nipple Erectors (littéralement les « dresseurs de tétons »), rapidement rebaptisés The Nips face aux réticences des salles de concert à programmer un groupe affublé d’un tel nom. Oscillant entre punk, big beat, power pop, garage rock et rockabilly, les Nips ont pondu quelques titres parfaitement percutants qui nous donnent un bel aperçu de l’ambiance musicale de la scène londonienne de la fin des années 70. Et c’est un réel plaisir de retrouver MacGowan dans un contexte différent de celui des Pogues et de constater que son énergie, sa coolitude et son authenticité étaient déjà entièrement présentes dès le début.
Grâce à plusieurs compilations diffusées depuis la fin des années 80 – dont la plus complète est à ce jour The Nips – Tits of Soho, sortie en 2000 –, les fans de McGowan pourront découvrir avec joie les premiers coups d’essais de leur héros destroy préféré dont le talent était déjà bien affirmé. Rappelons que Shane McGowan, qu’on surnommait alors Shane O’Hooligan était un punk pur et dur. Immigré irlandais parachuté dans la banlieue londonienne où ses parents s’étaient installés, il est rapidement tombé dans giron du punk, genre musical idéal pour un olibrius de son espèce, très tôt accroc à l’alcool et aux drogues, personnage désaxé, hors-norme et incontrôlable.
Avoir 20 ans à Londres en 1977 aura été pour lui une bénédiction. À l’époque, il travaillait comme disquaire le jour et hantait les clubs la nuit, devenant une figure incontournable de la scène punk, présent à tous les concerts des Sex Pistols, de The Clash ou The Jam. On pouvait l’y voir distribuer son fanzine punk Bondage ou pogoter frénétiquement parmi les autres lads déglingués de son acabit. Pour l’anecdote, McGowan s’est un jour retrouvé en photo dans la presse londonienne le lendemain d’un concert où Jane Crockford (future bassiste des Mo-Dettes) lui avait arraché un lobe d’oreille, le journal ayant alors parlé de cannibalisme. C’est en 1978, à l’âge de 21 ans, que Shane McGowan et ses amis James Fearnleay (futur accordéoniste des Pogues) et Shanne Bradley (artiste punk) décident de devenir pleinement acteurs et non seulement spectateurs de la scène punk en formant The Nipple Erectors, soutenus par Stan Brennan, disquaire et ancien patron de McGowan qui venait de monter son propre label Rocks Off Records à Soho Market.
Pour donner un aperçu plus détaillé de la compilation, voici un échantillon des titres les plus marquants du groupe.
So Pissed Off
Ce titre intentionnellement bas du front, cousin du Part-Time Punks des Television Personalities (écrit par Daniel Treacy en 1978 et sorti en single en 1980), séduit par sa rusticité, sa rythmique et ses accords basiques. L’accent à couper au couteau de McGowan et les So pissed off en backings sont du meilleur effet.
Venus in Bovver Boots
Un titre plus subtil que le précédent qui compte parmi les meilleurs du groupe. Il y est question d’une punkette pas très jolie mais tout de même attirante avec ses Bovver boots, c’est à dire ses Doc Martens portées à l’époque par tout punk qui se respectait. Il faut saluer la rythmique tendue et impeccable de John « Grinny » Grinton, mais aussi la pertinence des parties de guitare leads assurées par Gavin Douglas ainsi, bien sûr, que la voix rocailleuse de McGowan.
Nobody To Love
A côté des chansons d’amour, il y a aussi les chansons d’anamour, pour reprendre une expression de Gainsbourg. Pete Shelley des Buzzcoks était passé maître dans ce registre, mais Nobody to Love des Nips s’impose comme un petit chef-d’œuvre du genre. On peut encore une fois apprécier le jeu tendu, la frappe précise et les breaks particulièrement bien sentis du batteur John « Grinny » Grinton. Le solo épuré de guitare lead s’impose également comme un moment de grande classe.
All the Time in the World
Un titre garage rock très efficace qui rappelle, avec son riff de guitare haché, sa rythmique enlevée et son solo d’harmonica, les meilleures heures des Kinks des débuts, en particulier les chansons interprétées par Dave Davies.
Nervous Wreck
On doit encore tirer notre chapeau à Gerry Macliduff (les Nips ont connu plusieurs batteurs), dont la frappe nette et précise donne un punch remarquable à cette chanson des Nips. McGowan joue à fond la carte de l’accent de mauvais garçon, notamment lorsqu’il prononce le mot crazy d’une voix rugueuse au possible.
Gabrielle
Ce titre fait penser, comme l’avait remarqué Michka Assayas dans son Dictionnaire du rock, aux chansons de Wreckless Eric, auteur de l’immortel Whole Wide World. On y trouve un MacGowan plus posé, et même carrément pop au chant. On peut aussi apprécier la partie de basse très mélodique de Shanne Bradley à la fin de la chanson.
Happy Song
Cette chanson a été produite par Paul Weller, qui ne semble pas en avoir voulu à McGowan d’avoir un soir détruit la sono de The Jam pendant leur concert. On pourrait presque croire que c’est Weller en personne qui a écrit cette chanson, tant on y retrouve la dynamique tendue et le style de riffs affectionnés par The Jam.