Depuis Los Angeles, cité des rêves déchus, épicentre de l’industrie du film et en partie de la musique, The Nerves n’auront, en quatre années d’existence (1974-1978), sorti qu’un unique EP 4 titres, auto-publié en 1976. S’ils n’ont guère laissé une discographie pléthorique, il serait cependant malheureux de s’en tenir à ce court curriculum vitae tant le groupe marqua les esprits, a posteriori de son existence. Vous les trouverez ainsi rarement dans les anthologies des meilleurs albums rock de tous les temps : ces ouvrages offrent une lecture de l’histoire de la musique à l’aune d’un format qui ne lui correspond pas toujours. Nous pourrions citer des exemples à profusion, depuis les origines du Rock & Roll jusqu’aux ondes sismiques Punk, la Pop ne s’est pas toujours écrite en 33 tours. Elle n’a pas non plus toujours eu les faveurs du public. Certains groupes eurent le maudit privilège d’exercer une influence souterraine durable sur leurs camarades, sans décrocher la mirifique timbale. Nous les connaissons bien, de Love jusqu’au Velvet Underground en passant par l’agonie des Zombies (qui n’ont jamais aussi bien porté leur nom). The Nerves cumulent en quelque sorte les deux. Pas d’album à compiler en boucle dans des listes paresseuses, pas non plus de tubes en or massif pour leur assurer des pépettes et un avenir. Enfin presque. Le tube, ils l’ont écrit, ils ne l’ont pas fait. Qui ne connaît pas Hanging On The Telephone ? Un des classiques… de Blondie, pas de The Nerves. Pourtant ce sont bien les trois Américains de Los Angeles qui ont composé cette satanée chanson, mais ils n’eurent pas forcément la possibilité de l’incarner et la porter. Remercions néanmoins Blondie de l’avoir interprétée, car loin de leur voler la lumière, le groupe leur en céda un peu en reprenant le morceau.
Jack Lee (guitare), Peter Case (bassiste) et Paul Collins (batterie) ne le savaient probablement pas en 1976 : leur EP auto-produit est devenu, au fil des années, un jalon de la Powerpop. Le disque, qu’il soit en avance ou en retard, est essentiel pour comprendre l’articulation dans les 70’s de ce genre musical mésestimé. Au début de la décennie, dans son fanzine Who Put The Bomp, Greg Shaw défendait ardemment une vision personnelle de la musique pop. Le collectionneur de garage-rock – il participa à la création des Pebbles en réaction à une compilation Nuggets 2 avortée – louait ainsi dans ses pages The Raspberries, Badfinger et quelques autres franc-tireurs (Blue Ash, The Wackers). Tous avaient en commun une forme d’anachronisme. À l’époque du Prog Rock virtuose ou du Hard Rock musclé, ces formations s’inspiraient des Beatles, Hollies, Small Faces et Who (auxquels nous devons la paternité du nom). Certaines eurent un succès d’estime, mais aucun ne s’imposa durablement dans le paysage musical. Les groupes déclinèrent au moment où The Nerves se formèrent. La relève en quelque sorte, et elle fut probablement biberonnée aux écrits de l’enthousiaste blond.
Ils eurent cependant encore moins de succès que leurs aînés ou leurs petits frères. Bien que pile poil dans l’époque (le premier Ramones sortit la même année), le groupe loupa le coche Punk et la vague Powerpop qui s’en suivit. Aux trois Californiens échoua le statut de culte, aux Knack la voie des charts (avec un très bon premier album). Pourtant, cet EP est une petite bombe : l’écriture est racée, d’une élégance folle. Les chansons sont vives et dynamiques, signées par les trois musiciens, Jack Lee se taillant la part du lion avec deux morceaux. Elles symbolisent toute la beauté que peut avoir la Powerpop. Elles ont l’épure du Punk, sans en singer l’agitation, et les mélodies graciles des meilleurs 45 tours de la British Invasion. Si Hanging On The Telephone est la plus célèbre de toutes, les autres sont plus que méritantes. En effet, comment rester insensible à la perfection, économisée et rabotée jusqu’à l’os, de la sublime When You Find Out ? Working Too Hard s’est elle aussi imposée comme un classique avec les années, à raison, comme une petite merveille que bien des groupes aimeraient être capables de composer.
L’EP de The Nerves est ainsi un classique, mais malheureusement publié dans un entre-deux, un pied entre la première génération de l’ère immédiate post-Beatles, l’autre dans la future New Wave marquetée par Sire. L’équilibre était intenable, évidemment, et le groupe trop beau et trop talentueux pour résister. Comme une belle fleur, il se fana rapidement mais fit des petits. Après un single non publié pour Bomp! (les excellentes One Way Ticket et Paper Dolls ), Peter Case et Paul Collins montèrent les éphémères Breakaways avant de former leurs groupes respectifs. Le bassiste mit au point un incroyable gang en live avec les Plimsouls, auteurs de quelques chansons mémorables comme Now ou A Millions Miles Away. Le batteur, de son coté, après l’aventure The Beat (premier disque génial), continue de tourner et jouer, souvent accompagnés de jeunes de la moitié de son âge en backing band (The Number Ones, récemment). Paradoxalement l’auteur de leur tube, Jack Lee, ne connut pas la carrière la plus mémorable, avec juste un album au milieu des 80’s. Dans tous les cas de figure, difficile de ne pas considérer The Nerves comme la plus belle pièce du puzzle pour les trois membres du groupe. Un vrai (petit) morceau d’histoire pop.
Pour finir, une playlist…