On devrait immensément se réjouir et frétiller de gratitude de pouvoir (enfin) assister à un concert de The Loft en 2025, le samedi 20 septembre, lors du Paris Popfest*. Parce qu’en fait cela ne tient qu’à deux singles. Mais pas deux petits singles, attention. Réunis compilatoirement bien après leur sortie, et à au moins deux reprises depuis chez Rev-OLa ou Cherry Red avec un peu plus et pour notre jeune gouverne en 1988 (j’étais en première et je ne m’en suis visiblement toujours pas remis) sous l’intitulé Once Round The Fair The Loft 1982-1985. Une citation des paroles de Up The Hill And Down The Slope, morceau toujours ahurissant dont l’incipit, « My Magpie Eyes Are Hungry For The Prize » titra également la nécessaire, quoique contestée, saga du label Creation sous la plume de David Cavanagh (rip) parue juste à l’aube du nouveau siècle. C’est dire si dans la genèse du label d’Alan McGee la jeune troupe menée par Peter Astor fait office de CNR par rapport à l’histoire officielle qui voudrait qu’à l’origine, hors les têtes de morts d’East Kilbride**, point de salut. T’as qu’à croire. C’est d’ailleurs par un point d’achoppement que le groupe, qui s’appelle alors The Living Room découvre (et c’eût pu être mutuel) qu’un Écossais fait jouer des formations amies dans une soirée du même nom. Rebaptisé The Loft, et à l’âge de petite vingtaine qu’ils ont, je ne suis pas persuadé que ce soit une référence au bazar de David Mancuso, en revanche la connexion new yorkaise est totalement évidente, arborée, respectée et revendiquée. Mais même psychiquement centré sur la grosse pomme, le londonien Peter Astor (tout comme son lointain cousin Lawrence de Felt non loin de Birmingham) ne se contentera jamais de n’être qu’un fan de Lou Reed et de Television en goguette, il saura y mettre une anglicité en sourdine qui fait tout le sel de sa présence incontestable depuis plus de quarante ans dans nos discothèques. Et je n’évoque qu’à peine l’élégance, la gentillesse, la finesse et la bogossitude du personnage au civil. Sa discographie parle pour lui et mériterait sous tous ses alias d’après (The Weather Prophets, Wisdom Of Harry, Ellis Island Sound) une véritable encyclopédie intime. Tant qu’à relire l’énoncé des titres composés, on y retrouve milles envies et impressions, automnales pour la plupart, et même si certains n’ont pas passé l’oreillette depuis leur parution, ils font partie de nous. On peut appeler ça un corpus. Mais revenons au Loft. Avec Andy Strickland, Dave Morgan et Bill Prince.

Premier single en août 1984, deux ans avant le matraquage C86 et déjà cent coudées au dessus. Why Does The Rain. Classique instantané. Vif et maussade comme un inédit de Marquee Moon joué par des Buzzcocks mornes et Velveto-centrés. Peu de morceaux dans une vie peuvent se targuer de vous comprendre et de vous consoler en 3 minutes et 33 secondes, que vous l’écoutiez à 16 ans ou bien bien plus tard. Et ce solo, bordel de merde. Preuve qu’on peut faire énormément avec très peu et premier classique avéré du label, Why Does The Rain est le hit absolu des gens qui sont un peu contrariés mais qui avancent quoiqu’il arrive. Et dans le top 5 des meilleurs morceaux sur la pluie pas loin du Velvet, des Beatles, de Creedence et du Cult.
Deuxième single en 1985, Up The Hill And Down The Slope, parangon avéré d’un groove somnambulesque préfigurant Happy Mondays. C’est Peace Frog des Doors ou Barabajagal de Donovan joué par des anglais qui fantasment leur première au CBGB’s et qui, pour en remettre une couche clignotent sur la fin l’impeccable Dont’ Go Home With Your Hard On de Leonard Cohen et Phil Spector. Que des classiques pour des gens qui ne savent pas danser et s’en foutent, mais alors, éperdument. Et ce solo, quasiment Beefheartien infriste, perdu dans des montagnes russes un peu Echo And The Bunnymen de l’époque aussi, rebordel de merde.
Bref, rien que pour ces deux titres, le panthéon est assuré. Mais vous n’êtes pas à l’abri d’autres enchantements sur ce court résumé d’une carrière avortée, scellée d’une séparation en direct sur la scène de l’Hammersmith Odeon en première partie prometteuse des Colourfield de Terry Hall. Quel gâchis. Même un morceau assez terne comme Skeleton Staircase fait pâlir de honte la plupart des groupes actuels qui s’en réclament de loin et par pudeur, je ne les citerai pas. On A Tuesday, plus enjoué, trace une lignée avec les cousins californiens du Dream Syndicate et l’on se dit peut être que dans ses fantasmes américains, The Loft aurait surement pu durer un peu plus dans l’éclosion du Paisley Underground. Your Door Shines Like Gold, autre tube potentiel, encore une fois Venus des Shocking Blue joué par un Television sous pervitine périmée, ce genre de classe internationale. Même scansion faussement rapide sur Winter, autre tropisme Velvet/Beatles/Creedence surtout, comme du Feelies amorphe. Du très haut niveau pour des vingtenaires.

Si les autres continueront cahin-caha leur petit bonhomme de chemin dans des formations que l’histoire a oublié (The Wishing Stones, Caretaker Race, The Rockingbirds), seul Peter Astor tiendra la flamme, parfois avec la flemme mais toujours avec une nonchalance classieuse qui force un peu plus que le respect. Seule reprise au tableau, Time de Richard Hell et du coup, le temps, précisément, a finalement arrangé les choses. The Loft s’est reformé et a finalement sorti son premier véritable album chez Tapete l’an dernier***. Alors les voir (pour la première fois) sur scène dans le cadre du Paris Popfest tiendra autant de l’événement que du privilège. D’ailleurs, on ne s’y est pas trompé, c’est déjà complet.
* Je reprends la formule étourdissante et liminaire de Sebastien Morlighem à propos d’Essential Logic, pour l’avant-veille. En lui souhaitant très vivement la bienvenue en ces pages en espérant que cela ne soit pas qu’éphémère. ** Jesus And Mary Chain, pour ne pas les nommer. *** Everything Changes, Everything Stay The Same, plus ça change, plus c'est pareil et c’est toujours bien.
Once Round The Fair 1982-1985 par The Loft est sorti en 1988 sur le label Creation
The Loft sera également en concert avec En Attendant Ana au Centre culturel de Lesquin le vendredi 19 septembre.
Pour celles et ceux qui n’auraient pas eu la chance d’attraper des billets pour le concert de The Loft pour la soirée de clôture du Paris Popfest qui affiche complet, Pete Astor sera en set acoustique sur les rails du Hasard Ludique le samedi 20 septembre à partir de 17h (en compagnie d’Isabella Green Catani de Dog Park & de Jyoti Mishra de White Town), l’entrée est gratuite. Plus d’informations sur l’événement Facebook.