Il faut toujours considérer sinon chérir un groupe quand il vous a été transmis par des lignes de François Gorin.
Il faut partir à sa rencontre comme à l’aventure, voyage garanti crucial, même si l’on se retrouve contre, ce sera toujours tout contre, au cœur. Et puis, comme je retarde, traîne dans les lacets, ne lis et n’écoute jamais à l’heure, j’ai reçu le choc de la découverte de The Innocence Mission bien après les batailles – des pique-niques pacifiques en réalité– 2020 et See You Tomorrow, et l’on n’avait pas fini de se voir en effet – et j’ai mis un nouveau Lancaster sur la carte, en Pennsylvanie, où vivent Karen Peris (les chansons, la voix, une montagne d’instruments), son mari Don (des guitares et des batteries), et leur ami Mike Bitts (la basse). Et j’ai chéri leurs chansons, leurs disques, surtout ceux de la manière la plus récente, la plus incroyable – chaque ligne de chaque chanson, comme chaque chanson de chaque album, fait son chemin dégagé des époques, avec en cadeau un peu d’air pour les heures les plus lourdes, intelligence subtile du fait d’être et de ressentir, finesse poétique et mélodique, arrangements invisibles – les meilleurs – les seuls.
Il faut sidéré faire l’effort joyeux d’imaginer ce que peut être une journée de Karen Peris, et ce qui la fait lire, écrire, dessiner, filmer, coudre, composer, chanter, mener une vie dont les nouvelles chansons d’un nouvel album peuvent s’intituler The Camera Divides the Coast of Maine voire This Thread Is a Green Street, arbre de la nouvelle forêt Midwinter Swimmers.
Car arbre il y a, un premier extrait éblouissant, aux images aussi maison que le reste.
Extinction du bavardage et du superflu, ne restent que cette voix, ces réverbérations de sous-sol, un art total de l’arrangement comme art de l’oubli, du disparaître, condition de l’apparaître de la chanson – et toujours chanson il y a. Même les images composées par Peris en sont.
Écoutez, lisez – si nécessaire.
C’est là. C’est tout, là.
Le reste de l’album a mis cette fois-ci quelques semaines à apparaître, d’abord rangé par mégarde dans un tiroir épais, aux écoutes distraites, avant de se révéler – écoute en bibliothèque, le nez dans les écritures du jour – transfiguré – les retrouvailles de l’évidence.
Je n’ai pas rencontré The Innocence Mission en espoir, mais en secret, en trésor – aux chansons chéries, des silhouettes poétiques donc existentielles, donc spirituelles, un dieu sans roustons, un dieu sans Nick Cave, un dieu sans bruit ni fureur – ni drame – un simple silence – ce profond océan sous des replis d’eau de trois minutes – pas de vague, ou si peu – des ondes – des sentiments d’être – qu’espérez-vous, vraiment, d’autre ? Si la littérature n’est qu’un moyen sans bras, la chanson est un monde et son art l’art d’être, qu’il s’agisse de chanter ou d’écouter.
La vivisection n’a pas de raison – on peut observer les chansons dans leur milieu, libres – états, passages et menues agitations – mélodies à contours et détours discrets, nimbés – harmonies certaines mais non ostensibles – effleurements plus que percussions pour la pulsation – le je et le tu des sensations – dessous, les émotions – survivre les souvenirs et les demains – le roulis puissant de l’art de Peris – et toujours ce timbre de voix indescriptible.
The Innocence Mission ne frappe à aucune autre porte, ne raconte aucune autre histoire sinon cette rencontre réduite à son os, et j’en viens à penser que, rendu là, le groupe de Peris ne peut plus vraiment sortir de mauvais disque, ne peut plus vraiment se tromper, de la première à la dernière chanson de chaque album – ici, A Different Day, une de plus.
Tout est clair, et vous pouvez l’essayer.