The Cure, Festival Mad Cool à Madrid, Samedi 13 juillet 2019.

Robert Smith The Cure
Robert Smith, The Cure / Photo : Mauro Melis via Sound Of Violence

Et alors ? On attend quoi d’un groupe que l’on a vu plus d’une dizaine de fois sur scène – même si la dernière remonte à l’été 2002, dans un festival en Espagne déjà, à peu près à la même heure et enveloppé par la même chaleur ? On attend quoi d’un groupe qui a été la bande son de ses années d’adolescence, ce moment où sans en avoir conscience (on ne s’en rend compte que bien plus tard), tout est encore possible. On n’en attend pas grand-chose en fait – ou plus exactement, on a surtout passé l’âge de tirer des plans sur la comète. Alors, on ne se torture plus des heures avant l’entrée en scène en essayant de savoir « et ce soir, ils vont jouer quoi ? » On ne se demande plus s’ils vont abattre les atouts « pop », cet élément qui malgré la légende a toujours (insistons sur le toujours) été présent dans la discographie du groupe, certes de façon plus ou moins exacerbé, mais même lors des heures les plus rouges (on aura beau dire ce qu’on voudra, mais A Strange Day, c’est quand même un grand morceau pop, à peine caché derrière des strates de reverb et de distorsion). On ne se demande plus combien de morceaux de Pornography ils vont jouer ce soir – mais là, c’est vraiment une question de génération car chacun a dans la discographie de la formation menée par Robert Smith son album « Point G » (néanmoins, je crois que Pornography, The Head On The Door ou Disintegration tiennent souvent ce rôle). On attend. On observe. On se dit aussi que The Cure a peut-être eu son mot à dire dans la programmation de cette dernière journée du Mad Cool FestivalMogwai, magnifique alors que la nuit vient de tomber, et The Twilight Sad également à l’affiche, ça ne peut tenir du seul hasard. On jette un coup d’œil autour de soi et on s’amuse à compter le nombre de tee-shirts à l’effigie du groupe, à deviner à quel moment de l’histoire sa voisine ou son voisin a succombé à cette pop noire et vertigineuse. Et puis, alors que l’instant approche et que sur un écran géant s’affiche l’heure exacte à laquelle le groupe fera son apparition, on se demande si, comme en 1984 au Zénith de Paris, il y aura un énorme mouvement de foule au moment précis où la silhouette de Smith se dessinera sur le fond de scène. Et puis…

The Cure
Simon Gallup et Roger O’Donnell, The Cure / Photo : Mauro Melis via Sound Of Violence

Et puis, le quintette apparait dans sa formation qui est la sienne depuis maintenant un septennat environ. Et puis, sur l’intro de Plainsong, les claviers de Roger O’Donnell résonnent comme s’il jouait sous les voutes d’une cathédrale. Et puis, Robert Smith arpente la scène, avec juste un micro dans une main (ce qui l’aurait voué aux gémonies il y a trois décennies) et son air d’éternel adolescent qui s’extasie d’un rien. À sa droite, Reeves Gabrels n’a bien sûr pas le look provocant de Porl “Pearl” Thompson ni la silhouette émaciée de Perry Bamonte, mais entre nous, ce n’est pas ce qu’on lui demande : ce gars-là joue avec une justesse incroyable, et les versions live d’aujourd’hui lui doivent sans doute beaucoup. Derrière lui, Jason Cooper, qui a longtemps semblé pataud sur de trop nombreux morceaux (je me souviens encore d’un massacre en règle de Siamese Twins, mais je ne sais plus en quelle année), est désormais d’une précision imparable. Enfin, il reste Simon Gallup, celui sans qui The Cure ne serait pas / plus tout à fait The Cure. Car avouons-le, presque tout le monde a désormais oublié le bassiste originel Michael Dempsey, son jeu agile (Jumping Someone Else’s Train, quand même) et son port de basse trop haut pour être crédible à l’époque new-wave. Avouons-le, dans l’esprit de beaucoup, la tournée 1984 a pâti de l’absence du rival éternel de Peter Hook (remplacé qu’il fut par Phil Thornally, le producteur de Pornography et le futur compositeur du tube absolu qu’est Torn pour Natalie Imbruglia). Enfin, avouons-le, la nouvelle de son retour pour l’album de la consécration publique en 1985 fut accueillie comme si l’on parlait d’un Messie. Gallup, donc. Acrobate filiforme qui toise la foule et impose sa basse dont l’omniprésence impressionne à Valdebedas. Une basse qui au même titre que la voix de Robert Smith est indissociable de l’identité sonore de The Cure, que le ton se fasse léger et enjoué ou qu’il soit agressif et menaçant. Ce soir, le groupe fête à sa manière le trentième anniversaire de Disintegration, en jouant sept chansons d’un disque qui pour beaucoup reste comme le chant du cygne discographique d’une formation qui n’a plus sorti de nouvel album depuis onze ans. Mais on s’en moque. Car lorsque les musiciens attaquent l’intro de Push – qui n’a pourtant jamais été un titre de chevet (une intro somptueuse gâchée une fois n’est pas coutume par l’entrée du chant qui se fraye un chemin à la « Marie couche toi là ») –, ce sont les souvenirs qui affluent, l’année 1985 encore, les premiers signes d’un succès qui va devenir démesuré : cette pleine page accordée par Libé en plein mois de juillet à l’aune d’un concert donné à Athènes, les premières écoutes de In Between Days, l’attente de la sortie d’un album qui pour la première fois ne portera pas comme titre celui du dernier morceau…

Robert Smith The Cure
Robert Smith, The Cure / Photo : Mauro Melis via Sound Of Violence

Mais quelques minutes auparavant s’est produit le premier choc émotionnel d’une soirée où le spleen aura parfois des allures d’idéal (la fausse légèreté de Lovesong, portant toujours avec élégance sa mélancolie en bandoulière), avec cette version querelleuse de Just One Kiss, qui provoque ces frissons que seules réservent les premières fois. Ce soir, The Cure joue en formation serrée, prend visiblement du plaisir et en donne plus qu’il n’en faut aux 50 000 personnes et quelque massées devant cette scène démesurée, flanquée de deux écrans qui dévoilent des sourires complices et des mimiques d’enfants comblés. Alors, entre nous, on s’en fout désormais de la set-list. On observe les gens et on devine ceux qui vivent là leur baptême scénique, un sourire accroché aux lèvres. Oui, bien sûr, on trouve un peu dommage l’absence de chansons de Pornography (décidément, ça ressemble à une obsession), mais la version de A Forest, sans être aussi formidable que celle de Manchester en 1982 (mais il n’y a jamais eu mieux, reconnaissons-le), virevolte entre ombres et lumières alors que dans la foulée, Primary se fait presque plus inquiétant que sur disque. Le diptyque In Between Days et Just Like Heaven a enivré une foule dont la tête tourne définitivement sur une version hypnotique de Disintegration. C’est la fin ? Non, parce que The Cure impose ses conditions. Alors, Robert Smith et ses comparses reviennent pour asséner le coup de grâce, le temps de cinq singles qui illustrent à merveille l’éclectisme d’un groupe à la personnalité pourtant si singulière. Si le public se laisse prendre avec une certaine délectation dans la toile impressionniste de Lullaby, c’est la version de The Caterpillar, improbable ritournelle post-psychédélique, qui surprend et séduit vraiment. Et lorsque retentit l’intro presque Motown de Why Can’t I Be You?, ce sont les souvenirs d’une autre première fois qui resurgissent, la première fois que l’on a entendu cette chanson, pas tout à fait achevée, lors d’un rappel dans les Arènes de Dax, une nuit de l’été 1986 – la tournée estivale de la polémique, Robert Smith ayant sacrifié sa tignasse hirsute sans pour autant se métamorphoser en Samson post-punk… Alors que les derniers accords de Boys Don’t Cry s’évanouissent dans la nuit madrilène, Simon Gallup joue l’intro de Faith. Mais ce n’est qu’un leurre. Un leurre qui ressemble à une insinuation. À une invitation. Une invitation qu’on ne se permettra pas de décliner.

Setlist

Plainsong
Pictures of You
High
Just One Kiss
Lovesong
Last Dance
Burn
Fascination Street
Never Enough
Push
In Between Days
Just Like Heaven
From the Edge of the Deep Green Sea
A Night Like This
Play for Today
A Forest
Primary
Shake Dog Shake
39
Disintegration
[Rappel]
Lullaby
The Caterpillar
The Walk
Friday I’m in Love
Close to Me
Why Can’t I Be You?
Boys Don’t Cry

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