McDo a déjà donné le ton : tout est foutu. Les espaces publics étaient encore clos que cette réclame entrevue hier au soir devait avoir été tournée trop promptement, en prévision calculée des jours meilleurs. On y aperçoit une famille et leurs quelques amis célébrer leurs retrouvailles en se réjouissant ostensiblement de pouvoir à nouveau se goberger en coprésence de frites trop sèches et de steaks décongelés sur le tard. A peine est-il advenu dans le réel que le déconfinement est déjà à vendre. Quant aux quelques mois qui l’ont précédé, autant dire qu’il n’en reste déjà plus que les simulacres résiduels. Il ne nous reste qu’à nous raccrocher, une fois encore, aux traces musicales qui étaient seules la certitude rétrospective d’avoir vécu quelque chose de substantiel et, peut-être, de mémorable. Au premier rang d’entre elles figurent donc ces enregistrements, réunis depuis quelques jours, des sessions acoustiques diffusées par The Coral.
Comme bon nombre de ses confrères, James Skelly a diffusé régulièrement sur les réseaux sociaux, tout au long du printemps, quelques réinterprétations des classiques de son cru agrémentées de trois morceaux inédits et, pour faire bonne mesure, d’une reprise de Married With Children d’Oasis. On a beaucoup glosé sur la profusion et l’opportunité de ces incursions virtuelles organisées par les artistes dans leur propre salon, de ces ersatz de concerts à distance qui fonctionnent, il est vrai, souvent sur le modèle de l’illusion débranchée autrefois édifié par les pontes de MTV : couper le courant pour mieux prétendre le rétablir et procurer à l’auditeur l’impression trompeuse de la familiarité avec ses idoles en affichant les attributs d’une authenticité de façade. Unplugged – selon le terme consacré – ces sessions confinées le sont incontestablement. Pourtant, l’escamotage des fils électriques ne semble pas ici destiné à nourrir les chimères de la proximité factice. C’est, curieusement, une impression très étrange de distance improbable avec des œuvres pourtant familières qui domine d’abord. C’est peu dire que l’on croyait connaître par cœur Bill McCai (2003), Put The Sun Back (2007) et autres Secret Kiss (2003). On les reconnaît ici sans vraiment les reconnaître. Comme dans quelques cas très rares – on songe inévitablement à cette version dépouillée de Steve McQueen, (l’album des Prefab Sprout, 1985) réenregistrée par Paddy McAloon vingt ans après l’original – le consentement à l’austérité révèle plutôt une vérité éclatante, radicalement neuve et qu’on pouvait pourtant entrevoir, à titre de simple potentialité, dans les versions antérieures de ces chansons. La nécessité ascétique de l’instant se transfigure ainsi en vertu éloquente. Sans l’étayage des arrangements conçus autrefois par Ian Broudie ou John Leckie, on parvient ainsi à repérer des intonations plus fragiles et plus dramatiques dans la voix étonnamment émouvante de Skelly.
Elles confèrent un éclairage inédit et singulier, comme un contraste très marqué de noir et de blanc, à cette galerie de personnages féminins qui resurgit des anciens albums photos. La profondeur de champ s’accentue et les contours se précisent. Au fur et à mesure que s’estompe l’évocation nostalgique mais un peu superficielle de la romance, s’esquissent ainsi les fragments d’histoires plus poignantes. Entre les lignes de ces palimpsestes, on se retrouve ainsi à deviner chez Liezah ou Rebecca les stigmates des survivantes auxquels qu’on n’avait jamais pris le temps de porter l’attention. Entièrement au service de leur propre vérité cachée, ces chansons brillamment réinterprétées méritent qu’on leur consacre toute l’attention que leur délicatesse réclame.