Avant que la house n’enflamme les pistes de danse de Chicago, la ville de l’Illinois avait développé dans les années 60-70 une tradition soul, dans un paysage marqué par la Motown ou la Stax. Au delà de Jackie Wilson ou Curtis Mayfield (avec/sans The Impressions), Chicago pouvait en effet compter sur une scène particulièrement riche : Tyrone Davis, Gene Chandler, Jerry Butler, Fontella Bass, Billy Stewart, Baby Huey, The Staple Singers, The Dells, Rotary Connection ou encore les Chi-Lites qui nous intéressent aujourd’hui. Ces artistes adoptaient évidemment les codes de leur époque, mais y injectaient une vraie sensibilité, propre à la Windy City. Définir le son de la Chicago soul n’est pas si aisée, pourtant dès que vous mettez un disque produit dans cette métropole, quelque chose de spécial se passe. C’est groovy, avec un balancement presque nonchalant, plus soyeux que la southern soul, moins pop et amphétaminé que la northern soul.
(For God’s Sake) Give More Power To The People (1971) des Chi-Lites reflète largement cette démarche. La formation prêche une sweet soul à faire fondre les cœurs des plus durs, mais n’hésite pas à hausser le ton et se parer de quelques influences psychédéliques. Les Chi-Lites, dont la genèse remonte aux années cinquante, s’inscrivent en effet dans la tradition des groupes vocaux tels que les Temptations, The Dramatics ou The O’Jays. Leurs chansons s’appuient ainsi sur les différentes tonalités de voix des membres du groupe. Sur (For God’s Sake) Give More Power To The People, l’alchimie entre Robert « Squirrel » Lester, Marshall Thompson, Creadel Jones et Eugene Record est superbe. Les astres s’alignent parfaitement entre les compositions, les harmonies vocales et les instrumentations. Musique d’ardents tourtereaux certes, les Chi-Lites sont pourtant capables de faire parler la poudre. Sur la chanson titre, le groupe déroule un groove solide et en donne pour son argent à Sly & The Family Stone. La chanson fait suite au grand hit de l’album, la magnifique Have You Seen Her. Ce morceau prend le contrepied de la suivante. Son romantisme échevelée tranche avec les velléités politiques de (For God’s Sake) Give More Power To The People. Dans les deux registres, les Chi-Lites assurent ! Sur Love Uprising et You Got Me Walkin’, nous nous attendons à entendre la voix de Curtis Mayfield à tout moment, tandis qu’I Want To Pay You Back ou Yes I’m Ready ne dépareilleraient pas sur un album des Delfonics.
Produit et écrit par Eugene Record, membre du groupe, (For God’s Sake) Give More Power To The People est un album consistant, équilibré et attachant. Ce classique de la soul seventies est, avec A Lonely Man (1972), son successeur, un très beau témoignage du talent des Chi-Lites et de leur apport à la Chicago soul. Son écoute enchantera encore les âmes exaltées pendant de nombreuses années.
