The Caretaker, Everywhere At The End of Time – Part 1, 2, 3 (History Always Favors The Winner)

The CaretakerRares sont les occasions de pouvoir assister en direct à la disparition programmée d’une œuvre, d’un artiste, d’un monde. C’est pourtant à cela que s’attèle méticuleusement Leyland James Kirby depuis l’année dernière pour mettre un terme à son projet The Caretaker, qu’il mène en solitaire depuis près de deux décennies.

Part 1      
Part 2     
Part 3     

Tout au long de sa discographie, The Caretaker a exploré sans relâche les gouffres de la mémoire et du temps en proposant un ambient de collage absolument unique, entièrement basé autour de samples de morceaux jazz du début du XXe siècle, récupérés sur de vieux 78 tours craquelés. Traités en accentuant la violence de leurs parasites tout en noyant dans l’écho leurs mélodies surannées, Kirby tirait de ces standards usés des évocations fantomatiques d’un monde perdu, inaccessible. Comme une longue déambulation dans les salles de bal poussiéreuses du Overlook Hotel de Shining (c’est d’ailleurs de là que vient le nom du projet), promises à jamais au silence des trépanés. Mais après les acclamations obtenues en 2011 pour son excellent An Empty Bliss Beyond This World, c’est encore plus loin dans les ténèbres que nous amène son vaste cycle de 6 albums Everywhere At The End of Time, débuté en septembre 2016 et prévu pour s’achever en 2019 au rythme d’un disque par semestre. L’objectif : proposer une expérience sonique autour de la démence et de la sénilité en documentant musicalement la lente dégradation de l’esprit et des souvenirs jusqu’à la disparition inexorable de toute lucidité. Une œuvre littéralement malade qui achèvera définitivement The Caretaker en tant que projet. Si la fascination pour ce type de pathologie n’est pas si étonnante de la part de Kirby – il avait signé en 2006 le massif Theoretically pure anterograde amnesia, recueil de 72 fragments ambient basés sur l’expérience de l’amnésie antérograde – elle est ici poussée à un paroxysme autodestructeur saisissant. Chaque nouveau chapitre est un pas de plus dans l’inconnu. Si le premier disque ressemblait ainsi à un essai presque typique de la part de l’artiste, le deuxième sorti en mars dernier commençait à faire poindre d’inquiétantes perturbations, échos d’une lointaine bataille vouée à l’échec : boucles qui sautent, réverbérations qui noient, autant d’attaques sourdes rongeant peu à peu l’esprit. Arrivé maintenant à la troisième partie de cet aller simple vers l’anéantissement, l’humeur se fait soudainement lourde et confuse, le malaise grandissant. La détérioration s’est installée. Jouant sur une familiarité perturbante, l’album réutilise des samples des deux parties précédentes (dont certains viennent également de disques précédents de The Caretaker), en les tordant subtilement. La lente perte de repères provoquée par la maladie se dessine ainsi à coup de déjà-vu glauques et de trous noirs soudains. Dans la confusion, les mélodies se répètent et bégaient avec une altérité indescriptible : tout ce qui était connu devient étranger. La réalité s’écroule, emportant passé et présent dans le même chaos. Les échos engloutissent progressivement l’espace pour ne laisser que des bourdons, des abysses, effaçant avec soin toute trace de vie. Pas d’espoir. Pas de lumière. La chute. À mi-parcours, Everywhere At The End of Time est l’un des work in progress les plus fascinants de notre époque. Et le pire reste à venir, selon les dires même du créateur: « Nous allons maintenant quitter la phase consciente du projet. Les trois dernières étapes seront les plus intéressantes à mes yeux : tout s’effondrera jusqu’à atteindre une confusion absolue. » Il n’est pas trop tard pour vous joindre au voyage, en repartant du premier chapitre, pour mieux vous laisser submerger jusqu’à la fin amère.

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