The Besnard Lakes, The Besnard Lakes Are The Last of The Great Thunderstorm Warnings (Full Time Hobby)

Lorsqu’ils sont des voyages, les albums sont plus beaux. Et force est de constater que les concept albums se font plus rares dans les sorties actuelles, les titres sont souvent plus courts, moins cohérents entre eux et moins nombreux. Alors quand on tombe sur une proposition comme celle de The Besnard Lakes Are the Last of the Great Thunderstorm Warnings, on y regarde de plus près, et on entre dans ce qui sera forcément une expérience. Ici, c’est un voyage au travers de la mort. Comme nombre d’albums de deuil, tels Carrie & Lowell de Sufjan Stevens ou Spirit of Eden de Talk Talk, il y a la puissance de la catharsis à l’œuvre. Jace Lasek, fondateur du groupe avec Olga Goreas, ayant récemment perdu son père, devait se sortir de cette souffrance. Visiblement grandi. Le titre tonne comme une menace de fin du monde, ça en serait prétentieux si à la clé il n’y avait pas la chair de poule éprouvée après le tonnerre. « On se sent comme si on lançait notre premier album », assure Olga Goreas au journal québécois Le Devoir. Rien d’étonnant, il y a un tel engagement. Le sentiment de se tenir en face d’un monument, une sensation similaire à celle ressentie à l’écoute de Double Negative de Low, le chef d’œuvre de ces dernières années. Il y a une parenté entre ces deux disques qui tient à une idée : la fin, l’Apocalypse. Enchaîner le locked groove de la face D de The Besnard Lake Are… au son décharné et abîmé de Quorum sur Double Negative, c’est saisissant. La présence des horns (sirènes), des drones et des voix suraiguës tout au long des deux disques y font pour beaucoup dans leur proximité en même temps que leurs visions de la fin du monde.

The Besnard Lakes
The Besnard Lakes / Photo : Joseph Yarmush

Parlons de la forme, d’abord. Les quatre faces de ce double LP sont déjà un programme : Face A : Near Death, face B : Death, face C : After Death, face D : Life. On peut y voir des thèmes post-rock pour un disque qui n’en est pas, mais qui n’en est pas si éloigné non plus. Entendez-vous du Sigur Ros ? Un disque parcouru d’ombres et de lumière, comme souvent dans le post-rock. Un disque qui est en plus un hommage à Mark Hollis et à Spirit of Eden de l’aveu de Jace Lasek. Car, oui, tout comme les genres, les deuils se sont entrelacés. Est-ce l’effet du deuil d’ailleurs si The Besnard Lakes renoue avec son passé et ses sublimes The Besnard Are The Roaring Night en 2010 et The Besnard Lakes Are The Dark Horse en 2007. Une trilogie donc. Ce n’est plus un voyage, c’est une odyssée.

Near Death traduit à la fois l’angoisse et la sérénité. Les guitares et les synthétiseurs sont étranglés mais la voix et les chœurs sont étrangement légers, aériens. La batterie est une semonce, inéluctable comme la mort. La guitare s’envole à la fin de Blackstrap pour se nouer avec Raindrops, hommage à Talk Talk avec des références aux textes de Spirit of Eden. L’art rock à son sommet. Puis vient sur la fin d’un drone, Christmas Can’t Wait, sûrement la plus émouvante et la plus intime des chansons de l’album. Bizarrement la plus lumineuse, alors que c’est celle qui évoque le plus explicitement le père de Jace, grâce à la guitare lead, aux roulements de caisse claire et aux chœurs d’Olga. Les enchaînements entre les trois titres sont, disons-le clairement, divins.

Death est irréelle. La mort est un débordement et l’angoisse est chassée dans Our Heads Our Hearts on Fire Again. « You don’t like that song of mine », comme un pied de nez. Les vents sont grandioses et retenus à la fois. Les voix sont lâchées. L’apothéose est presque gênante avec Feuds With Guns, tout est exprimé, sans pudeur. The Dark Side of Paradise arrive comme un revers avec le souvenir du défunt. Et la douceur semble infinie avec là, encore un drone et des arpèges de guitare.

After Death est une danse macabre, un exutoire avec New Revolution. Une montée psychédélique, on pense enfin aux Beach Boys. Probablement là où les chœurs sont les plus travaillés, avec les guitares en réponse. Puis c’est l’accalmie, le soulagement après la phase extatique de The Father of Time Wakes Up. En introduction, la voix de Jace prend toute la place au-dessus d’un drone de synthé avant de repartir dans un final d’arrangements totalement échevelés. Brian Wilson, es-tu là ? Et ce vers comme un mantra : « WITH LOVE THERE IS NO DEATH ».

Life, c’est la contemplation. Un seul titre : Last of the Great Thunderstorm Warnings. Les arrangements et la voix sont encore plus évanescents qu’auparavant. L’Apocalypse devrait ressembler à ça. Tabula rasa, puis l’épopée du recommencement. Enfin, notre contemplation se fixe sur ce sublime drone final de quasi dix minutes suivi d’un locked groove éternisant la présence de l’être perdu. Grâce au drone, la contemplation se mue en méditation. Une solution possible pour ne pas sombrer dans la folie que peut engendrer la mort.

Le titre, à l’instar de l’album, tient dans un miracle de clair-obscur entre outrance et retenue. Ce clair-obscur c’est l’ambiguïté face au deuil, entre la tentation de s’enfoncer dans la pensée de la mort et de la personne disparue et le besoin de regagner la vie, de remonter à la surface.

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