Quand Théophile Gauthier théorise L’art pour l’art en 1834 en préface de son sulfureux roman Mademoiselle Maupin, il est loin d’imaginer que 142 ans plus tard un groupe de crétins britanniques en tireront Art for art’s sake, l’exceptionnel single porteur de leur grand-œuvre de 1976, le bien nommé How dare you!.
Et, en effet, Comment osent-ils sortir ça ?, serait-on tenté de dire… L’année précédente, 10 cc, le groupe en question, dans sa mancunienne idiosyncrasie, a fait péter le hit-single international avec I’m Not in love, slow trompe-braguette à faire passer le My Love de McCartney (dont il est le négatif parfait) pour la Marche de Radetzky, mais qui n’a pourtant rien à voir avec son cœur de métier habituel : soit un Bordello pop inconnu des services d’immigration. La chausse-trape se referme alors aussi rapidement que les royalties tombent. Nœud gordien. Un dernier pour la route ? Euhhhhh… Non. On va TENTER AUTRE CHOSE.
Comme souvent chez les 10 centimètres cube, ça commence mal. Un instrumental inconséquent (pléonasme), ouvre les hostilités dans la consternation générale. Mais la gronde monte… Alors, dès Lazy Ways, la barre est placée à plus de 2 mètres 90, ce qui pour les amateurs de saut en hauteur (que l’on sait nombreux à nous lire) n’est pas… Mais attendez, que l’on se comprenne bien. C’est quoi Ten CC ? Alors… Si vous mélangez le Zappa de Take off your clothes when you dance, le Steely Dan de Show Biz Kids et les Beatles de You never give me your money, vous arriverez peu ou prou à résoudre l’équation. Et, quoique pêchant parfois par sa raideur rythmique, le groupe se rattrape par un sens pervers de la mélodie qui tapine autour de la gamme mais aussi du cut-up, comme, ici, dans le stratosphérique I’m Mandy fly me ou le sardonique I wanna rule the world. Sans parler des chelous Head Room ou Don’t hang up et du plus ou moins casher Rock’n’roll Lullaby qui ose le refrain « petit peuple ».
L’équilibre, alors, entre l’équipe de jour dite « McCartney » composée d’Eric Stewart et Graham Gouldman, bonasse, et celle de nuit, dite « Lennon » composée de Kevin Godley et Lol Creme, sadique, est remarquable.
Problème : il n’y a pas, ici, de I’m not in love (slight return).
Résolution : c’est le meilleur album de l’orchestre, mais leur dernier.
Regret : l’époustouflant Get it while you can, issu de ses sessions, n’est utilisé qu’en face B de 45 tours, confirmant un snobisme pathologique.