Pour Teenage Fanclub, l’année 2018 s’est achevée sous le signe de l’ambivalence. D’un côté, ces rééditions fastueuses sur vinyle d’une partie considérable de ses œuvres passées – toutes celles publiées au cours des années 1990 pour le compte du label Creation – ainsi qu’une série de concerts commémoratifs au cours desquels les écossais ont rejoué dans leur intégralité ces cinq albums majeurs. De l’autre, le départ annoncé du bassiste historique Gerard Love, qui ampute, de fait, d’un de ses éléments essentiels le trio de songwriters qu’il formait depuis trente ans avec Norman Blake et Raymond McGinley et qui contribua, à parts à peu près égales, à leur réussite. En l’absence de certitudes sur l’avenir, il convient donc plus que jamais d’entretenir la flamme des souvenirs passés. Une résolution d’autant plus appropriée qu’elle synthétise, somme toute, assez bien le parcours entamé en 1989 par un groupe dont la capacité à susciter un amour indéfectible a toujours été inversement proportionnelle à l’ambition avant-gardiste. Et si, inutile de chercher à le dissimuler plus longtemps, TFC reste l’un de nos groupes préférés de tous les temps, c’est avant tout pour le talent unique dont il a toujours fait preuve à célébrer l’importance des découvertes musicales adolescentes et la place décisive que conservent toujours, au cœur de nos vies adultes, ces références anciennes et indispensables dont la présence entretient une émotion vitale où s’entremêlent euphorie, nostalgie et passion irraisonnée. Pour démarrer ce week-end consacré au groupe, voici quelques mots sur les rééditions, avant l’interview exclusive qu’ils nous ont donnée que vous lirez demain, et l’émission qu’on leur consacrera dimanche.
Matthieu Grunfeld
Teenage Fanclub – Songs From Northern Britain (Creation Records)
Par Alexandre Gimenez-Fauvety
La coterie pop est en émoi : pas moins de cinq albums de Teenage Fanclub ont été réédités dans les règles de l’art (mastering supervisé par le groupe, artwork des disques originaux, etc…) Surtout, il ne s’agit pas de n’importe quels albums. Cette assertion a certes peu de sens quand il s’agit des Fannies (ont-ils fait un mauvais disque ?) mais là, Sony a sorti les grosses cartouches : les albums majeurs de la formation écossaise publiés entre 1991 et 2000, soit leur zénith artistique.
Il y aura toujours un débat âpre et vif sur le meilleur album de Teenage Fanclub. Trois œuvres semblent cependant remporter le plus de suffrage: Bandwagonesque (1991), Grand Prix (1995) et Songs From Northern Britain (1997). Trois disques pour trois moments clefs du groupe. Après A Catholic Education (1990), les Écossais signent leur premier chef d’œuvre avec Bandwagonesque, disque qui a l’outrecuidance de dépasser cette année là Nevermind dans le classement de Spin, une assertion osée mais loin d’être hors de propos pour autant sur un plan artistique. Le groupe y développe une powerpop déjà inspirée des plus grands mais plongée dans un fracas sonore puissant à même de rivaliser avec le grunge ou le shoegaze. Grand Prix est une confirmation, il intervient après Thirteen généralement considéré comme (un peu) moins réussi : il démontre que le groupe fait parti des grands, et que Bandwagonesque n’était pas un heureux accident. Songs From Northern Britain termine cette trilogie deux ans plus tard, il constitue peut-être mon disque préféré du groupe, ou en tout cas celui que j’écoute le plus régulièrement. Il émane en effet de ce disque une force tranquille, le groupe a l’assurance de ceux qui maîtrisent parfaitement leur art. Teenage Fanclub assume alors pleinement, sans artifices, la filiation pop avec les aînés : Big Star et The Byrds en tête. Ce patronage, loin de porter préjudice aux Britanniques, révèle d’autant plus les qualités du groupe, notamment l’incroyable vivier de talents d’écriture dont il dispose en son sein. Si nombre de nos formations chéries étaient muées par des couples (Lennon-Macca, Chilton-Bell, etc…), Teenage Fanclub pouvait (au passé désormais) compter sur trois exceptionnels compositeurs : Norman Blake, Raymond McGinley et Gerard Love, lequel venant d’annoncer son départ du groupe. Ils se répartissent équitablement (et séparément) les douze chansons de Songs From Northern Britain. Si les plus connaisseurs arrivent à identifier la patte de chacun, force est de reconnaître que l’album brille aussi par son homogénéité voir une certaine linéarité diront les mauvaises langues incapables de se saisir de la beauté de ces douze chansons. Plus bucolique et pastoral (à l’image de l’introduction du tube I Don’t Want Control of You) que ses prédécesseurs, Songs From Northern Britain épouse des arrangements plus acoustiques (Your Love Is the Place Where I Come From) qu’à l’accoutumée faisant une place de choix aux harmonies célestes de la formation. Teenage Fanclub y excelle, le mot est même faible tant cela constitue une des forces du groupe. En cela il s’inscrit totalement – dans un style différent – dans la tradition des Byrds ou de Crosby Stills & Nash, d’autres supporteurs zélés de la chose. L’harmonie pourrait être à une chanson ce que le sel est à un plat : un exhausteur de mélodies, qui, utilisé à bon escient, sait transcender le matériel d’origine pour en tirer la quintessence. Je ne vois guère beaucoup de groupes à avoir mieux saisi cela que les Fannies. C’est indéniablement une de leurs marques de fabrique, elle contribue à rendre ce disque si particulier et beau en magnifiant une écriture déjà fameuse. Dès les deux premières chansons, les mémorables Start Again et Ain’t that Enough nous succombons ainsi au charme discret des Écossais. La suite est tout aussi réjouissante et constitue un sans faute à la durée tout aussi traditionnelle (43 minutes). Si quelques synthétiseurs se font entendre, notamment sur Planets, la production est aussi élégante que sobre : chaque instrument y trouve facilement sa place, mettant en valeur la beauté et l’évidence des mélodies (souvent accompagnées de jolies guitares jangly). Songs from Northern Britain est indéniablement un disque adulte. Chez beaucoup de groupes, cela sonnerait comme une défaite, ou du moins le signe avant-coureur de la fin. Pour Teenage Fanclub, cette maturité apporte une aisance et une confiance rayonnante. Le groupe est à sa place, aussi bien vis-à-vis de son âge que des références qu’ils affectionnent. Il n’est alors pas si inconcevable de les placer à égalité de leurs modèles, Big Star en tête. Leur classicisme pop en ennuie certains, à n’en pas douter, mais ils passent à coté d’un disque beau, simple, délicat, intemporel qui trouve toujours sa place à coté de la platine, surtout en cas de coup de mou. Teenage Fanclub a créé une certaine émulation à l’époque, en Écosse comme au sein des labels d’Alan McGee (nous pensons aux mésestimés Digger$ et Cosmic Rough Riders), et ne doutons pas qu’un peu d’eux a infiltré certaines formations actuelles à commencer par Real Estate qui explore avec la même bonhomie le patrimoine sans jamais le piller, en le chérissant sans arrière pensée.
Teenage Fanclub, Thirteen / Howdy ! (Creation Records / Sony)
Par Etienne Greib
Vous l’aurez compris, Songs From Northern Britain (1997) fait une sorte d’unanimité au sein de la rédaction, et nous avons laissé le regard neuf et fougueux d’Alexandre Gimenez Fauvety prendre le soin de vous en parler. Cependant, on ne saurait passer sous silence ce qui fait aussi le piment et les contradictions de cette série Ô combien bienvenue de rééditions, celui de la réévaluation, de la remise à plat et de l’éventuelle redécouverte. Je vais donc vous reparler de deux disques un peu considérés à tort comme maudits dans la carrière du TFC : Thirteen (1993) et Howdy ! (2000), tous deux, il est vrai, parus dans des périodes de lose relative.
Mais avant, un point de chicanerie que je me permets de relever dans une perspective patrimoniale : il n’est fait aucune mention, JAMAIS, dans ces pourtant fort jolies reproductions d’époque, du label originel où sont parus ces disques de grand bonheur. Il n’est pourtant pas des moindres, puisqu’il s’agit de Creation Records, maison d’importance, phare de nos adolescences, mené par Dick Green et le toujours jeune Alan McGee, qui lance d’ailleurs ces jours-ci rien moins qu’un label de quarante cinq tours, nommé, je vous le donne en mille : Creation 23. Alors bon, loin de moi l’idée de faire un procès en révisionnisme crasse à une major qui se consacre encore à de si beaux objets, mais on peut se sentir un brin chafouin.
En revanche, le travail de remasterisation est impeccable, et l’on se surprend à entendre de manière distincte ce que l’on avait jusque là pressenti dans ces albums que nous connaissons pourtant par cœur, même les guitares parfois brouillonnes de Bandwagonesque (1991, l’âge de pierre) sonnent désormais comme une pluie d’étoiles, c’est dire.
Thirteen, et c’est rétrospectivement son seul défaut, va être enregistré alors que les écossais, fort du succès du précédent, reviennent complètement rincés de la tournée, longue et hédoniste, afférente. Il faudrait à ces (alors) jeunes gens quelques mois de repos avant de s’y remettre, mais c’est bien connu, dans les industries culturelles, aussi pointues soient elles, il faut battre le fer tant qu’il est chaud. Pourtant, la fougue de la jeunesse s’y entend encore de vive voix, et le moral semble de prime abord au beau fixe. La triplette de love songs exacerbées et tubesques (Norman 3, The Cabbage, Commercial Alternative) de Norman Blake, qui file alors le parfait amour avec une jeune française*, est là pour le prouver. C’est pourtant l’indicible montée en puissance des deux autres songwriters du groupe qui donnent aujourd’hui à Thirteen une profondeur de champ impalpable à l’époque. Que ce soit Raymond Mc Ginley (Escher, 120 Minutes, Tears Are Cool) qui excelle déjà dans son magistère de l’intranquilité, ou Gerry Love (Song To The Cynic, l’épique Gene Clark, Fear Of Flying et le hit, Radio) qui creuse des morceaux un peu plus profonds, le véritable sel de l’album semble évident vingt-cinq ans plus tard. Son titre, comme un pied de nez sublime à ceux qui auront trop souvent comparé le TFC à Big Star et sa conception épuisante font de Thirteen un disque que le groupe semble renier. Bien mal considéré par la critique à sa sortie**, il a su nonobstant prendre avec l’âge la patine d’un lost classic. On y devine en tout cas ce que le TFC va devenir, les références sont là aussi explicites : des Byrds écossais. Et plus de richesse et de diversité en devenir que la contemplation malsaine de ce nid à malheur, aussi génial soit il, que fut Big Star. Ce que les deux albums suivants (Grand Prix et Songs From Northern Britain) vont prouver avec une force et une maitrise époustouflante. Autre lost classic en devenir et un peu passé à la trappe lors de sa sortie à l’aube du nouveau millénaire, Howdy ! est lui aussi enregistré dans l’adversité puisque Alan McGee vient de saborder Creation, et que le groupe se retrouve par défaut au sein de l’impersonnelle écurie Sony pour y achever son contrat. Il y renouvelle pourtant l’enchantement de Songs For… tout en affirmant une diversité instrumentale ahurissante, des cuivres de The Town And The City aux cordes de Straight And Narrow en passant par la magnifique désillusion de Dumb Dumb Dumb. De toute façon, vous aurez beau chercher, vous ne trouverez pas de mauvais disques du Teenage Fanclub, et il était grand temps de redécouvrir ces deux-là avec une oreille neuve aujourd’hui.
*Romance qui aurait inspiré au bilieux Luke Haines le morceau New French Girlfriend sur le deuxième album de The Auteurs, paru la même année, mais ce sont surement des racontars de seconde zone.
** Par la critique, mais pas par les fans, car je nous revois encore sauter de joie comme des petits foufous comme si c’était hier, avec Renaud Sachet qui l’avait gagné chez Lenoir, et l’avait donc reçu exceptionnellement une semaine avant sa sortie dans les bacs. Le genre de (total) frisson et d’exaltation dont la génération grandie avec l’immédiateté des internets n’aura jamais la moindre idée.