Il y a longtemps que l’on a fini par comprendre à peu près pourquoi Teenage Fanclub, plus que les autres. Tous les autres et beaucoup plus. De temps en temps, on en reprend conscience avec davantage d’intensité, c’est tout. La dernière fois, c’était en fin d’après-midi, dans la cour ensoleillée du Trabendo, il y a tout juste deux ans. L’interview était terminée, les salutations poliment échangées et les techniciens attendaient déjà pour les balances. Tout autre que Norman Blake aurait réintégré sur le champ le déroulement serré du planning qui le conduisait, étape par étape minutée, jusqu’au concert du soir. Et pourtant, simplement parce que nous avions devisé, en marge des questions prévues, sur les vertus respectives des grands oubliés de l’histoire de Creation – et donc, avec une logique implacable, évoqué 18 Wheeler – il n’avait pas hésité à dérober quelques minutes aux aiguilles déjà pressantes du chronomètre managé pour foncer en loge et copier sur une clef USB l’excellent album solo de Sean Jackson – Performs Slots (2010) – dont nous avions confessé ignorer l’existence, avec l’enthousiasme communicatif et généreux de celui qui se réjouit à la seule perspective du partage.
Maintenir tant bien que mal l’élan collectif né des passions musicales adolescentes, résister à l’entropie de l’âge pour s’émerveiller, encore et toujours, de découvertes et de révélations inédites – et il suffit de consulter les quelques interviews accordées par TOUS les membres du groupe ces dernières semaines pour constater à quel point ils demeurent sans exception à l’affut de toutes les nouveautés : les analogies sont trop flagrantes pour ne pas saisir ce qui résonne intimement en nous de ces défis et constitue encore le support parfait à toutes les identifications projectives. Surtout quand, au passage, quelques portes claquent et qu’il faut accepter les divergences et, parfois aussi, les ruptures. Endless Arcade est donc, avant tout, le premier album de l’absence. C’est toujours un choix difficile et engageant que de persister sans. Amputé d’un tiers irremplaçable après le départ de Gerard Love, Teenage Fanclub n’a pourtant pas boité bien longtemps. Les premières écoutes sont, il faut bien l’avouer, tendues vers ce vide qui focalise l’attention initiale. On guette, on s’interroge. On surinterprète la moindre inflexion nouvelle engagée par le manque – et ce qu’il pourrait attiser artificiellement de désirs chimériques. La réalité finit par reprendre rapidement ses droits et, cela tombe bien, elle demeure largement supérieure au fantasme.
A cet égard, Endless Arcade ne déçoit pas davantage que les concerts qui ont accompagné sa gestation – et au cours desquels le groupe avait réaménagé son répertoire en excluant les morceaux composés par Love. Trop intelligents et intègres pour chercher à nier l’existence de cet espace musical vacant, Blake, McGinley et leurs camarades se contentent de l’occuper avec l’assurance et le souffle nécessaires. D’entrée, Home donne le ton, à la fois familier et légèrement décalé, de ce retour au bercail subtilement altéré. Tout est un peu différent, mais bien des choses essentielles demeurent intactes. Le solo de guitare monumental de plus de quatre minutes de Raymond McGinley ? Il constitue à la fois une prise de pouvoir qu’autorise l’appel du vide laissé par l’ancien bassiste ET un prolongement des antiques stridences électriques qui engageaient The Concept – le premier morceau de Bandwagonesque (1991) – sur les mêmes hauteurs. Idem pour ce qui concerne les claviers de Euros Childs – ce vieux compagnon de route, notamment de Blake au sein de Jonny, et recruté après le remaniement de 2018 – omniprésents mais pas envahissants qui tricotent leurs ornements fleuris autour des mélodies. S’ils confèrent une touche baroque presque inédite à Living With You – cette magnifique rencontre au sommet entre l’émotion en mode mineur à la Gene Clark et les arrangements délicats de The Left Banke – il n’en demeure pas moins que leurs échos résonnent également en continuité avec des titres bien plus anciens – I Need Direction (2000) par exemple.
Endless Arcade apparaît donc comme une réfutation en acte de toute tentation nostalgique. Contrairement à ce qu’affirment le sens commun et les esprits blasés – qui n’ont d’ailleurs pas attendu le départ de Love pour se détourner du groupe – avant, ça n’était pas mieux. Avant, c’était avant. Et, pour peu que l’on choisisse de faire plutôt que de laisser tomber, il faut donc faire avec. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si – chacun de leur côté – McGinley et Blake engagent ici une suite de méditations mélancoliques sur l’écoulement du temps et la persistance fragile des souvenirs. Les nuances leur sont personnelles. Le premier développe avec sérénité son improbable interprétation du bouddhisme à l’écossaise, entre acceptation lumineuse et résignation apaisée à l’existence – « Don’t be afraid of this life. » entend-on sur le morceau qui donne son titre à l’album et, un instant, on se sent presque en mesure d’obéir. Le second opte pour une version plus romantique dans laquelle les altérations insensibles des relations viennent modeler la perceptions intime de la durée – l’enchaînement magistral I’m More Inclined/Back In The Day, saisissant d’inspiration mélodique, apparaît à cet égard comme l’un des sommets du disque, avec ses échos lointains de My Back Pages (1967) – The Byrds, toujours. Pour l’auditeur aussi, le temps finira par accomplir son office. Comme souvent – à chaque fois, en fait – il est presque impossible de déterminer à chaud et avec précision où ce dixième album finira par se hisser dans le palmarès toujours très subjectif d’une discographie dépourvue de vraies faiblesses. En revanche, comme à chaque fois, on se souviendra pour longtemps de ces moments privilégiés de découverte et de communion printanière. En attendant avec impatiences les prochaines rencontres.
Un grand merci pour ce beau texte concernant ce magnifique groupe. Hate de mettre l’album sur la platine et de profiter pleinement de cet ecoute attendue avec forte impatience. Teenage Fanclub tout comme des groupes comme les Waterboys (ah Fisherman blues…), les Silver Jews, Jesse Sykes, les Cowboy Junkies, tout ceux du Paisley Underground etc et aujourd’hui The REDS PINKS & PURPLES, bref des groupes modestes mais orfevres de la pop et du rock a cherir encore et toujours!
AMICALEMENT!
Cyril