Taï-Luc, soldat perdu du punk français

Tai-Luc, La Souris Deglinguée
Tai-Luc, La Souris Deglinguée / Photo : Eric Mullet Dalle

Taï-Luc vient de nous quitter. Il était le chanteur charismatique de La Souris Déglinguée. LSD, un groupe légendaire, mythologique, de punk-rockabilly-ska-funk qui a poussé sur le pavé parisien de la fin des années 1970. Il n’a jamais connu ni la gloire médiatique ni l’honneur des disques d’Or. Mais l’aventure de LSD tient autant à son public, à ses « fans », sa « Raya » si vaste que s’y côtoyaient des profils a priori inconciliables (skin natios et gauchistes de toute chapelle), qu’à l’indiscutable (aucun débat autorisé, car aimer LSD c’est parfois marier le paradoxe de l’intelligence et de la mauvaise foi) qualité musicale et du propos (ils furent nos Jam, nos Ramones et nos Madness, tout en un, faute de véritable concurrence). De la bande des Halles (dont le survivant Pierpoljak, ancien skinhead sans foi ni loi de Colombes, raconte la proximité avec ceux qu’ils voyaient comme leur Sham 69 en mode gavroche) à cette fameuse première partie accordée à un autre groupe de jeunes gens agités de banlieue, les NTM, le parcours cabossé ne résiste pas aux simplifications. Chacun put projeter sur LSD ses propres fantasmes, avec toujours des chansons qui permettaient de se donner raison, entre nostalgie à la Crabe-Tambour pour l’Indochine française et l’hommage à Franz Fanon. Taï-Luc parlait à tout le monde et ne se fâchait avec personne. La Raya explosa lorsque LSD donna un concert à Fréjus, ville FN, le 31 juillet 2015 dans les arènes de Fréjus, avec un groupe identitaire In Memoriam. Taï-Luc était ensuite devenu bouquiniste sur les quais de Seine, où nous le croisions parfois en balade avec « la descendance » comme il disait. La hache de guerre a été enterrée comme l’a posté un ancien sur les réseaux. Il avait raconté une jeunesse parisienne en son temps, à l’instar de son idole François Villon… Notre jeunesse aurait dit Péguy.

En mémoire de Taï-Luc, voici un patchwork d’extraits inédits d’interviews au fil de sa carrière.

La Raya

« La Raya rassemblait toute sorte de gens très différents des uns et des autres, qui venaient de Colombes, Gennevilliers, Meudon et qui passaient néanmoins par la même porte. C’est un peu le souvenir que je garde de cette époque. De notre Moyen Âge artistique… Si les gens se côtoyaient, c’est qu’ils avaient un intérêt, une passion commune qui passe par la musique, c’est déjà pas mal… À l’époque, je parle de la fondation en 79-82, il se crée une sorte d’osmose entre le public et nous, les musiciens. Grosso modo, les gens qui viennent à nos concerts nous ressemblent, quels qu’ils soient. »

La Souris Déglinguée
La Souris Déglinguée

LSD

« Depuis le départ, l’histoire de LSD forme presque une énigme, une concordance des hasards. Quand tu te lances dans une carrière artistique, il faut être au minimum extraverti, ce qui n’est absolument pas mon cas, je ne suis pas Gogol ou Hadji-Lazaro. Je suis tout le contraire, plutôt réservé. Chanter ne m’intéressait pas du tout. Puis il a fallu écrire des chansons et comme personne d’autres ne se portait volontaire, je m’y suis collé, y compris au niveau des textes. Pour ma part, les reprises du Velvet me suffisaient pleinement. Et il a fallu monter sur scène. Je fréquentais beaucoup les concerts et je me suis mis à réfléchir, à penser à notre action, en me demandant à quel type de public nous allions être confronté. J’ai vite réalisé à force de passer d’un squatt à l’autre, que ce public potentiel – entre bandes et diverses figures plus ou moins indépendantes du macadam- ne se révélerait pas forcément amical, peut-être hostile, pas forcément devant nous en priorité pour écouter de la musique assis dans des fauteuils. Et en plus, nous risquions de ne être franchement aidés par la sonorisation dans les bars ou les petites salles, voire les chapiteaux. Il fallait donc se concentrer sur des choses simples, pas dix mille couplets, et des refrains faciles à enregistrer.

Les premiers textes de La Souris sont presque du fait sur mesure pour un public hostile pas venu pour cela. Si tu prends Jaurès Stalingrad, je pense que c’est la première chanson idéale pour « eux ». Ils ne comprenaient peut-être pas toutes les paroles mais ils savaient qu’à un moment il y aurait Jaurès Stalingrad à crier, comme un slogan ou de l’agit-prop. Après, nous avons pu passer à des choses plus élaborées comme sur l’album Eddy Jones ou Banzaï. Finalement, j’ai fait beaucoup de choses par défaut. Quand je me suis mis à pondre des chansons, mon objectif premier fut donc de composer les morceaux que j’aurais aimé entendre. Et peut-être que je voulais alors entendre Frantz Fanon dans une chanson. »

La Fontaine des Innocents fin des années 70

La Fontaine des Innocents à Paris
La Fontaine des Innocents à Paris

« C’est la faute à la régie des transports parisiens, quelle idée d’établir des lignes de RER qui se croisent en venant de l’ouest et du nord, au cœur de Paris… Ce n’était pas très inspiré pour juguler la délinquance potentielle des jeunes des zones péri-urbaines. Aujourd’hui, les seuls images qui existent de la fontaine durant cette période, avant que le poste de Police ne soit installé, ont été captées au début du film La Brune et Moi (film à visionner sur ce lien, ndlr) de Philippe Puicouyoul. Tu y aperçois Farid, certains personnages cités dans Week-ends Sauvages comme Isabelle et sa sœur Jacqueline. Il faudrait réaliser un arrêt sur image. »

La Rue et les bastons

« En 1978, Les Black Panthers nous ont soumis dans le métro à un interrogatoire. Eux cherchaient les Teddy et autres Rebels, amateur de rock’n’roll qui portaient le drapeau confédéré. J’étais avec des gars aux dégaines improbables, avec nos perfectos et nos tiags achetées au Carreau du Temple, et tous les cheveux longs. Pour résumer, on était branchables, pas branchés. On a ensuite retrouvé tout ce beau monde en tant que portiers à l’entrée des salles parisiennes. Je me souviens une fois rue du Faubourg du Temple en 79, des mecs avec des dégaines de bikers ont fait retirer à un autre les couleurs de son club de moto. Mais pour le reste dans nos concerts, j’ai le sentiment que tout se passait bien, mais peut-être ai-je une perception un peu idyllique de l’époque… »

Les légendes urbaines

LSD, extrait de "Week-end Sauvages" (Serious Publishing)
LSD, extrait de « Week-end Sauvages » (Serious Publishing)

« Souvent, tu avais connaissance des gens avant de les rencontrer. Un rockeur de Malakoff, en garnison avec moi, m’avait raconté qu’une bande terrible était en train de se monter, les « Blacks d’Elvis ». Je suis en permission, je sors de Gare de l’Est et je descends jusqu’ à Strasbourg-Saint-Denis pour manger un hamburger et je rentre là où il ne fallait pas… Je vais au comptoir pour acheter mon McDo. Toute cette fameuse bande barre la porte et je découvre que le gars de la caserne a légèrement commis une erreur sur le nom, en fait ils se dénommaient les « Black Devils », nombreux et très jeunes. Jimmy Métis est venu me saluer et m’a dit : « Nous aussi, on écoute du rock n’ roll, on aime les Flamands Roses ». Petit Jean (RIP), à qui j’ai consacré une chanson dans le nouvel album, je l’ai aperçu d’abord devant le Gibus, une bande de Teddy Boys de Meudon le cherchait. Il était fiftos mais il a vite basculé fan des Meteors, dans le sillage de gars comme Zeljko, pas encore Lord chez Radio Nova. Quand je l’ai recroisé ensuite en 1984, ils avaient une bonne dégaine : jean délavé et bombers retourné. Je pense que c’est l’un des premiers, avec Dino, le frère du boxeur Jaïd, à l’avoir fait. Une tenue idéale pour effrayer la population…. »

Le Palace

Le Palace à Paris
Le Palace à Paris

« J’y ai vu Siouxsie and the Banshees, etc. C’était la fin de la période des punks primo-arrivants à la Asphalt Jungle qui servaient de décorum pour les soirées branchées au Palace. Après 1980, des concerts vraiment bien se sont succédés, The Clash ou Dennis Brown. Et pour nous, gratuitement ! On rentrait avec Farid, Roudoudou, Tristan, Guy la Rose… Tous les mecs et les filles dans nos chansons. Tu descendais à la station des Grands Boulevards, tu remontais la rue du Faubourg Montmartre et à la Cité Bergère se trouvait une porte. On grimpait jusqu’au sommet par les chambres de bonnes, on redescendait par la cour intérieure, c’était un peu dangereux. »

Les groupes

« Les réputations sont marrantes avec le recul. On a été interdit sur Paris après l’Opéra Night, c’est pour cela que nous nous sommes retrouvés au Rose Bonbon, où d’ailleurs répétaient aussi Oberkampf et Nicola Sirkis avec Indochine. Je raconte parfois cette anecdote. La première fois que j’ai vu Les Innocents, c’était lors d’un concert à la fac d’Orsay, en 1981. Sur scène, JP Nataf avait marqué skinhead sur sa guitare… J’étais outré, je ne me serais jamais permis. Je pense qu’il devait tripper sur la compilation Oï sortie pas longtemps avant. »

La musique

L'Open Market dans le quartier des Halles à Paris en 72
L’Open Market dans le quartier des Halles à Paris en 72

« L’ambiance de l’époque, ce sont par exemple les manifs contre la loi René Haby, etc. Je participe à chaque fois, avec des raisons assez différentes de mes contemporains. Mon niveau de politisation se révèle assez étrange. Pour moi, premier enjeu, on séchait les cours et puis il s’agissait d’une belle occasion de prendre les transports en commun gratuitement, de la gare des chantiers à Versailles jusqu’à Montparnasse. Sauf qu’après, de nouveau, j’ai été exclu des manifs, un peu pour des raisons similaires au sport, parce que je ne collais pas trop à l’état d’esprit général. La majorité s’y rendait pour crier des slogans, coller des affichettes ou gribouiller des espèces de tags, enfin donc des activités en rapport avec l’objet de la manifestation. Or moi, je ne suivais pas trop les consignes. J’inscrivais sur les murs de la ville les noms des groupes que j’aimais bien tels les Flamin’ Groovies, ou des paroles de chansons. Inévitablement, les mecs me reprochaient toujours de manquer de respect envers la « mobilisation ». Finalement, j’ai continué à prendre le train pour monter sur la capitale, tout en quittant le cortège pour me rendre dans les magasins de disques, comme l’Open Market rue des Lombards, la boutique de Marc Zermati, ou Clémentine, rue de la Montagne Sainte-Geneviève, qui vendait des imports, des albums de garage punk des Seeds ou de ? And The Mysterians. Le but de la manif désormais se résumait à l’opportunité de bifurquer vers les Halles, pas encore à la fontaine des Innocents, mais plutôt les rues autour, comme la rue Quincampoix. C’était un quartier chaud et ado, il excitait un peu mon imagination. »


5 réflexions sur « Taï-Luc, soldat perdu du punk français »

  1. très jeune, je m’étais rendu à plusieurs concerts de La Souris Déglinguée, notamment à Montélimar puis à Saint-Etienne puis dans ma ville natale, Marseille, où j’habitais alors et habite encore.
    Chaque fois, la sono était bidon, le son des 2 guitares et de la basse se mélangeait en une bouillie sonore décevante et pourtant, « ça le faisait », notamment par l’aspect François Villon des paroles de Taï-Luc, notamment aussi par son charisme spontané, voire involontaire : c’est comme s’il incarnait d’évidence l’inconscient collectif des nombreuses personnes qui, à l’époque ( 1981 – 1987 ) écoutaient aussi volontiers du punk que du psychobilly, que du ska , que du reggae, que du Oï sans oublier des musiques vietnamiennes, sans oublier non plus La Varsovienne des choeurs de l’armée rouge !!!
    Parmi ces nombreuses personnes, beaucoup étaient plus ou moins à la dérive et c’était comme si Taï-Luc était le grand frère qu’ils/elles n’avaient pas eu, un grand frère qui leur redonne de l’espoir, qui leur offre une poésie sociologique des « bas-fonds »et qui leur donne surtout le goût du collectif.
    Selon moi, beaucoup parmi ils/elles ne sont pas tombés dans la drogue qui rend individualiste puis qui tue ( l’héroïne, drogue qui faisait des ravages dans les années 70 et 80 ) parce que Taï-Luc n’en consommait pas et qu’il déconseillait de tomber dedans.
    Merci Taï-Luc d’avoir existé et de nous avoir offert tant de belles chansons telles  » Sur la zone » , « Rien n’a encore changé » , « Une fille dans la rue », « (Pour tous ceux de la) Banlieue Rouge », « Que vont-ils devenir ? », « St-Sauveur », « Les parents à Chantal » …

    1. Bel hommage, j’ étais aussi à st Etienne au concert, mémorable,je suis marseillais, LSD à créer bien des polémique et se foutent pas mal de ce qu’on pense reste à jamais l’album du live à Paris incontestablement le meilleur, bien que…
      Yoko

  2. Taï Luc….
    Ce nom évoque beaucoup pour nous, jeunes provinciaux (en l’occurence Périgueux, dans le 24). Le fait d’écouter L.S.D nous permettait de se réclamer d’une musique, d’un style, d’une philosophie de vie même. On était peu, mais soudé.e.s.
    « La Souris.. » nous a rassemblé.e.s. & permis de nous ouvrir à des styles musicaux qui nous étaient totalement étrangers (keupon, ska, oï,..), dans les années 80.
    Au lycée, on s’y retrouvait, dans tous les sens du terme.
    Rien que pour ça, respect mon gars.
    Tchao Taï-Luc.

  3. Presque jamais écouté mais ayant rencontré leur matos en garde dans un studio de répétition parisien je suis désolé d’apprendre la mort du chanteur comme celle du chanteur des portes manteaux rencontré au Bataclan. Dans cette époque actuelle de désolation cela fait du bien de se remémorer les années Punk bien qu’aujourd’hui Paris soit devenu antisocial bon voyage mon gars et bravo pour votre musique LSD l’un des meilleurs remèdes en buvards et squeuds.

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